Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme. » La célèbre maxime attribuée à Lavoisier se confirme ce jeudi 26 septembre à la cave de Tutiac, à Marcillac, qui teste un équipement destiné à fabriquer sa propre neige carbonique grâce au CO2 issu de ses fermentations.
« Aujourd’hui, on dépense environ 30 000 euros par an en neige carbonique et en carboglace, indique Paul Oui, directeur technique de la coopérative, afin d’inerter nos cuves ainsi que les bennes de nos adhérents pendant les vendanges, puis pour les transferts de vin et l’embouteillage. » Selon Mathieu Planté, directeur de W Platform, pas de doute : il y a des économies à faire. Voici deux jours que son dispositif de captation du CO2 fermentaire, la CO2 Box, fonctionne à Marcillac en démonstration, dans le but de convaincre la cave de passer commande.
La CO2 Box (crédit photo A. Bimont)
« Nous avons branché un tuyau sur la canne de remontage de deux cuves de 1 000 hl de bordeaux blanc, fermées hermétiquement au niveau du chapeau, afin de capter le CO2 », nous explique Quentin Renouil, l’un des ingénieurs de W Platform. Un collecteur en PVC récupère le gaz et le conduit jusqu’à la CO2 Box, installée sous l’auvent du chai, où il est analysé et asséché. « On s’assure que le gaz contient au moins 99 % de CO2, ce qui est requis pour qu’il soit de qualité alimentaire. On l’assèche en nous branchant sur le réseau d’eau glycolée pour le refroidir et condenser l’humidité qu’il contient. »
Le CO2 est ensuite comprimé à 100 bars minimum, et stocké. « En ce moment, les cuves sont à 1010 de densité, en pleine fermentation. On comprime 14 m3/h de CO2 », explique Quentin Renouil. Et depuis la veille, la cave a déjà stocké 140 kg de CO2.
Le compresseur (en bleu) qui suit la CO2 Box dans la chaîne de traitement des gaz (Photo A. Bimont)
À présent, place à une démonstration. Le second ingénieur de W Plateform sur place, Dorian Zamprogna, se saisit du tromblon raccordé à la cuve de stockage et en ouvre la vanne. Trois secondes plus tard, il projette de la neige carbonique dans une glacière. De quoi faire gagner aux Vignerons de Tutiac en autonomie… et, peut-être, en coût.
Cuve de stockage du CO2 (photo A. Bimont)
Projection de la neige carbonique dans une glacière (Photo A. Bimont)
« On consomme environ 25 tonnes de CO2 durant les trois à quatre semaines de vendange, indique Paul Oui, et 25 autres tonnes le reste de l’année, pour l’embouteillage et l’inertage des pompages de blancs et de rosés. » Mathieu Planté effectue un rapide calcul. « Sur une production de 50 000 hl de blancs et de rosés comme chez vous, vous pouvez récupérer environ 6 tonnes de CO2 par jour de vendange, et 240 tonnes de CO2 en tout, indique-t-il. Comme vous n’en avez besoin que d’une tonne par jour environ pendant les vendanges, vous seriez autonome durant cette période, avec les deux cuves de stockage de 650 kg que nous avons amenées. »
Pour fabriquer de la carboglace, là encore, le procédé est simple, mais plus dispendieux. « Il faut 120 à 150 kg de CO2 pour produire 40 kg de pellets car il y a des pertes, indique Dorian Zamprogna, pendant que Quentin Renouil relie à la cuve de stockage de CO2 la machine à carboglace. Lorsqu’on ouvre la cuve, le CO2 se détend en neige carbonique, que nous comprimons ensuite contre une grille pour produire des pellets. On peut même choisir leur taille grâce à différentes mailles. Mais une partie du CO2 se disperse dans l’atmosphère durant ce processus. »
Carboglace en pellets (Photo A. Bimont)
Nouvelle démonstration. Les deux ingénieurs mettent en route la machine à carboglace et quelques secondes plus tard, des pellets d’environ 1 cm de diamètre pour 10 cm de long tombent dans la glacière. En moins de 5 minutes, elle est remplie. « Avec cette machine, on peut produire jusqu’à 100 kg de pellets par jour », indique le jeune ingénieur.
Si l’expérience s’avère concluante d’un point de vue technique, reste à savoir ce qu’il en est d’un point de vue économique. Mathieu Planté a fait une première proposition aux Vignerons de Tutiac à hauteur de 130 000 €, incluant la CO2 Box, le compresseur, la machine à pellet et des cuves de stockage, mais excluant le réseau de captage. Pour ce dernier, comptez quelques centaines d’euros s’il est mobile et temporaire, ou 1 500 € par cuve – si elles ne sont pas équipées de soupapes – pour une installation fixe en inox. Trop cher pour Paul Oui, qui souhaite un retour sur investissement à cinq ans. « J’ai revu mon chiffrage à 100 000 €, avec des cuves louées plutôt qu’achetées », explique Mathieu Planté. L’offre est dans les mains de la coop. Capter le CO2, une démarche vertueuse… mais coûteuse.
Autre façon de recycler le CO2 fermentaire : l’injecter dans les eaux de rinçage de façon à les acidifier. « En en diminuant le pH, on divise par deux les temps de rinçage après un détartrage ou une désinfection, et donc la consommation d’eau », indique Matthieu Planté. Pour assurer cette opération, son entreprise propose une CO2 Box plus petite, qui comprime moins le CO2. Depuis le mois d’août, le Château Figeac, à Saint-Émilion, teste cette solution. « L’installation est compacte et mobile, de sorte qu’on peut la brancher sur différentes cuves pendant les fermentations, et le CO2 est stocké en bonbonnes, apprécie Baptiste Chêne, œnologue de la propriété. On fera le point sur nos consommations d’eau à la fin de l’année. »