près trois semaines de vendanges, l’heure est au bilan en Champagne. « Il y a des secteurs où le rendement est catastrophique. La réserve individuelle va pleinement jouer son rôle d’assurance-récolte cette année », pose d’emblée Anne Bisiaux, directrice de l’Association des Champagnes Biologiques. Les pertes sont particulièrement importantes dans le vignoble aubois, rincé par la pluie depuis octobre et en partie terrassé par le gel et la grêle. « Dans la Côte des Bar, on entend parler d’une moyenne de 3 000 kg/ha, en bio comme en conventionnel. Certains viticulteurs ont pris une telle claque qu’ils n’ont pas vendangé. D’autres ont dû se partager vendangeurs et pressoirs », rapporte Anne Bisiaux. Pinot noir et pinot meunier n’ont pas résisté à la virulence du mildiou. « De mémoire d’homme, c’est du jamais vu », rapporte la directrice.
Dans la vallée de la Marne et dans l’Aisne, Anne Bisiaux anticipe un rendement moyen compris entre 3 et 5 000 kg/ha. « Le mildiou a entraîné 70 % de pertes ». Dans la montagne de Reims, ce serait plutôt 4 000kg/ha. « Certains villages ont eu un peu moins de pluie et s’en sortent, mais c’est marginal », continue-t-elle, en se demandant pourquoi le rendement a été fixé à 10 000 kg/ha, « parce que même dans la Côte des Blancs, la région qui s’en sort le mieux, on arrive tout juste à 9 000 kg/ha ».


Président des coopératives vinicoles de Champagne, Vincent Jourdan est plus nuancé. « On a moins récolté que ce que l’on espérait au début des vendanges, mais hormis dans le Barséquanais et le Barsuraubois, où là il n’y a effectivement surement pas plus de 3 000 kg/ha, on va quand même faire du vin », témoigne-t-il, sans se risquer à annoncer de chiffres. « Compte tenu de l’hétérogénéité entre secteurs, communes, et même parcelles, c’est pour l’instant impossible », explique-t-il. A la cave coopérative de Sermiers, que Vincent Jourdan préside aussi, le rendement s’établit à 8 200 kg/ha. « Dans la coop du village situé à 5 km, il est à 10 000 kg/ha. C’est vraiment très aléatoire. »
Pour Clément Pierlot, chef de cave des champagnes Pommery, les écarts de rendements vont de 1 à 10, entre la Côte des Bar, « terriblement touchée par les aléas climatiques », et la Côte des Blancs, « particulièrement les vignobles de Nogent-l’Abbesse, des coteaux du vitryat, et de la Côte de Sézanne, où les viticulteurs dépassent souvent les 10 000 kg/ha ».


Pas de débat concernant la qualité. « Le miracle champenois a bien eu lieu, avec du beau temps sur 80 % des vendanges », indique Clément Pierlot. « Il s’est juste mis à pleuvoir à partir de mardi dernier mais les raisins ont été vendangés sans avoir eu le temps de pourrir », complète Vincent Jourdan, soulagé de ne pas avoir pris un dernier coup de massue après une saison viticole éprouvante. « Il n’y a pas eu de pourriture et les jus se goûtent mieux que l’année dernière », se réjouit aussi Anne Bisiaux.
Les débourbages ont été faciles. Pour l’instant, les fermentations le sont également. « Les moûts sont bien équilibrés, avec une belle acidité malgré les degrés assez élevés, autour de 10 % vol. alc. », décrit Vincent Jourdan. « Il faut laisser le temps au temps mais on a le sentiment d’avoir rentré une récolte magnifique. Les paramètres analytiques sont au vert et à la dégustation les moûts sont racés, fins, droits. Ce sera un grand ou un très grand millésime », avance même Clément Pierlot, qui voit dans l’année 2024 la preuve qu’il ne faut jamais baisser les bras. « Avant les vendanges, rien n’est jamais joué. On peut avoir une année cauchemardesque avec deux fois plus de pluie que la normale et réussir à sortir de très bons vins dans des quantités qui restent acceptables », termine le chef de cave de Pommery.