VC = Prix de Vente Conseillé… Pour ne pas dire Contraint ? Imposant, de 2015 à 2018 par le contrôle et des sanctions, son niveau de tarification en IGP Côtes de Gascogne à ses acheteurs du réseau traditionnel (restauration et caviste), la SAS de distribution du domaine Uby (300 hectares en propre et 450 ha en négoce) et sa société mère (holding appartenant à son directeur général François Morel) sont condamnées à 500 000 euros d’amende « pour avoir mis en œuvre des pratiques d’entente visant à imposer à ses distributeurs un niveau de prix de revente des vins de la gamme Uby » juge l’Autorité de la Concurrence ce 17 juillet. Une amende lourde, mais issue d'une transaction. Uby ne contestant pas le dossier et arguant que le domaine n'avait pas de structuration juridique à l'époque pour éviter d'être en dehors des clous. À l’attention des autres entreprises de la filière vin, le gendarme concurrentiel rappelle dans un communiqué que « le fait pour un fournisseur d’imposer un prix de revente à ses distributeurs est prohibé. Ainsi, le fournisseur ne peut [imposer] surveillance et/ou sanction des distributeurs (physiques ou en ligne) qui n’appliqueraient pas ces prix ».
« C’est toléré pour les maisons de Champagne, pas les gueux de Gascogne. François Morel est sanctionné pour avoir eu les chevilles qui ont trop enflé » grince un connaisseur de la filière vin. L’Autorité de la concurrence s’est saisie de ce dossier « après la transmission d’un rapport d’enquête établi par la brigade interrégionale » du Sud de la France, faisant état de « pratiques de prix imposés ». Dans sa décision n° 24-D-07, l’Autorité montre l’ampleur du mécanisme de contrôle qui contrevient à l’article L. 420-1 du Code de commerce (sanctionnant l’obstacle à la fixation des prix par le libre jeu du marché). Vendant ses vins IGP à des grossistes pour les Cafés Hôtels et Restaurants (CHR, 60 % des ventes d’Uby) et à une quarantaine d’agents commerciaux auprès des cavistes (40 % des ventes, ainsi que des armagnacs), Uby communiquait des grilles tarifaires évoquant pour certaines des « tarifs minimums à appliquer à la bouteille », quand d’autres précisaient « sous respect des prix de vente minimums conseillés ». La fiche d’ouverture de compte client comportait l’engagement à « respecter les prix de vente minimums stipulée sur les tarifs ». Des mentions « progressivement supprimées à partir d’octobre 2017 s’agissant des nouveaux clients cavistes, et de juin 2018 – date d’une inspection par les services de la Répression des Fraudes (DGCCRF) » pointe l’Autorité.
Stratégie assumée
Dans son audition du 11 septembre 2023 auprès de l’Autorité, François Morel reconnait les faits incriminés et explique ces initiatives par le fait qu’« un nombre très marginal de cavistes faisait du dumping avec nos produits. Notre réseau commençait à en pâtir, certains cavistes menaçaient en effet de nous déréférencer, pour eux il s’agissait d’une concurrence déloyale » et « notre solution a été de formaliser dans les fiches d’ouverture de compte des prix de vente minimums. Cette mesure a été bien accueillie par notre circuit commercial car cela les a rassurés. » N’ayant pas donné suite aux sollicitations de Vitisphere, François Morel précise dans la même audition de septembre 2023 que comme « les grossistes en question n’ont pas pris cas de mes recommandations [d’augmentation des prix au niveau conseillé] nous étions cependant moins réactifs pour les livrer. Il est possible qu’ils aient attendu les livraisons plus que d’autres. Ils n’étaient pas prioritaires. »


Une forme de sanction dans les délais de livraison, parfois assortie de « menaces de représailles » rapporte l’Autorité, citant « des déclarations de distributeurs corroborées par des éléments documentaires versés au dossier ». Ainsi, un agent commercial interpelle par mail un grossiste lors de l’été 2016 pour lui signifier « le fait que les tarifs de revente Uby sont trop bas. Nous avions déjà abordé le sujet l’an passé. Une augmentation de tarif progressive devait se mettre en place. Or, les prix n’ont pas bougé. Le décalage est trop important par rapport à nos tarifs conseillés […]. Nous veillons à ce que TOUS nos clients, dont les sites de vente en ligne, respectent nos prix de vente conseillés. Nous allons certainement manquer de volume cette année. Il n’y a aucun intérêt à brader le produit. D’autant plus que tu as d’autres Gascogne entrée de gamme. Peux-tu t’engager à remonter les prix en nous proposant un calendrier ? » Les prix incriminés étant par exemple de 3,65 € le colombard ugni blanc quand le prix conseillé en caviste est de 5,50 €. Interrogé par l’administration, le grossiste indique que face à la menace voilée d’arrêt d’approvisionnement d’Uby, il s’est plié à la demande de revalorisation et a « affiché ce courriel dans la boutique dès sa réception afin que les clients soient pleinement informés de la demande d’Uby en matière tarifaire ».
Règles intériorisées
Comme évoqué par François Morel, les grossistes et cavistes étaient demandeurs de ce contrôle des prix et de la concurrence par Uby, ayant « adhéré à sa politique d’encadrement des prix en signant les contrats, en appliquant les prix imposés ou encore en dénonçant les pratiques commerciales de leurs concurrents » souligne l’Autorité. Un vendeur de vin en ligne déclare ainsi à l’administration qu’il a pu « remonter, notamment au domaine Uby, des informations sur des concurrents qui ont une politique de prix trop agressive. […] Généralement, la situation s’améliore quelques temps après. » Idem pour un caviste qui rappelle respecter scrupuleusement l’engagement sur les tarifs et s’impatiente qu’un signalement « concernant les prix d'un concurrent caviste à Castelsarrasin » n’aboutisse pas. Jouant encore plus le jeu, un autre revendeur rapporte « une promo Uby à Lille » où il va « passer pour choper les numéros de lot ». Un caviste évoque le commun accord avec un commercial d’Uby de « signaler des politiques tarifaires "déloyales" qui d’ailleurs décrédibilisent notre travail au quotidien ».
Résultat final, « les différents relevés réalisés par la DGCCRF montrent un suivi très significatif des prix de revente par les différents revendeurs » pointe l’Autorité, notant que « 91,3 % des références de vins Uby étaient vendues, au moment des constatations, à des prix supérieurs ou égaux aux tarifs conseillés promotionnels ». Un résultat participant à un déséquilibre du marché pour l’Autorité, qui sanctionne Uby en tenant compte de son chiffre d'affaires (entre 15 et 20 millions €/an). En somme, « la volonté d’un producteur/commercialisateur de vin de défendre le positionnement prix de ses cuvées, face à des prix cassés voire des opérations publicitaires où le vin concerné est utilisé comme produit d’appel, peut paraître a priori naturelle voire légitime [mais] le risque est que ces actions – commerciales, tarifaires voire contractuelles – mises en oeuvre sans réflexion juridique amont traduisent une pratique anticoncurrentielle » analyse dans une note sur le jugement maître Aymeric Louvet, avocat associé du cabinet Klyb (Montpellier), pointant que « l’Autorité considère que les pratiques visant à conseiller des prix minimaux de revente, à surveiller voire à sanctionner leur application sont ici démontrées et caractérisent une entente prohibée. »
Aucun appel n’a été déposé à date (le délai est de deux mois).