omme ailleurs dans le vignoble bordelais, au château de Malle on arrache. « Mais, ici on replante ! » lance Clémence Planty, la nouvelle copropriétaire du grand cru classé en 1855 et monument historique pour ses jardins depuis 1943 et sa demeure depuis 1949. Rachetée ce printemps par une famille bien connue du Sauternais, la propriété entre dans une profonde mue : la restructuration du vignoble de 38 hectares (pour moitié en appellation Sauternes et pour moitié en AOC Graves) et la remise en état de son château du XVIème siècle et de ses jardins (6,5 ha). Avec 10 salariés et un budget qui n’est pas communiqué, « on y travaille depuis 3 mois. La propriété a déjà changé de visage » constate Luc Planty, le directeur général, les allées et terrasses du jardin étant désormais visibles et accessibles (voir photos ci-dessous). Une reprise en main qui se traduit par réouverture dès ce mardi 16 juillet* de visites guidées (15 € pour les adultes, 5 € de 12 à 17 ans, gratuit jusqu'à 11 ans) et des jardins de 6,5 hectares (pour 5 €, ou 10 € avec une dégustation) qui seront accessibles du mardi au samedi (de 10 à 18h).
S’il faut refaire intégralement le labyrinthe, les fontaines et les parterres de buis (la pyrale ayant ravagé l’essence venue de Versailles), les façades travaillées, les statues d’inspiration grecque, le théâtre de verdure et la terrasse panoramique valent déjà le détour. « Nous ouvrons en l’état, avec un accès libre aux jardins (et une zone de pique-nique). Nous préparons une boutique éphémère (nous avons repris des stocks au rachat) » explique Clémence Planty, qui veut ainsi répondre à la curiosité des passants : les arrêts de curieux étant fréquents au portail. « Il n’y aura pas d’inauguration cette année, notre premier but c’est d’avoir des grilles ouvertes et d’embarquer le plus de monde dans notre aventure » note l’associée.
Contre-courant
Alors que le vignoble de Bordeaux affronte une crise économique et sociale d’ampleur, Luc et Clémence Planty cherchaient depuis deux ans « une propriété viticole pour constituer une offre complète : culture et vin. Nous avons étudié des projets jusqu’au Canada, alors que la propriété avec tous les critères recherchés était sous notre nez » rapporte Clémence Planty, qui se consacre actuellement au travail de reconstitution des quatre siècles d’histoire du château (voir encadré) pour aboutir à une vraie offre culturelle : « on ne parle pas seulement d’œnotourisme, mais de tourisme avec des œuvres architecturales, un jardin historique… »
La renaissance d’un grand cru classé en 1855 de Sauternes constitue l’autre défi de taille de ce rachat. Mis en vente depuis des années par la famille des comtes de Bournazel, le vignoble tient actuellement de la friche pour les parcelles anciennes, de la jachère pour celles arrachées et du plantier pour celles tout juste restructurées. Ayant l’ambition de compter parmi les grands vins de Bordeaux, Luc Planty met à profit l’association des cépages blancs du bordelais qu’il préside pour déployer des sélections massales de sémillon et de sauvignon blanc, « pour replanter et complanter en polyclonal en évitant l’entonnoir monoclonal. Cela donne plus de richesse aux assemblages » rapporte-t-il.
Conversion bio
En tout, 38 ha devraient être replantés, du moins sur « les zones très qualitatives (ce n’est pas pour rien que c’est un grand cru classé) » explique Luc Planty, pour avoir « le potentiel de grands vins », les parcelles arrachées pouvant servir à l’implantation de bosquets, mares… Le domaine ayant une approche agroécologique qu’il souhaite identitaire. Le vignoble va être converti à l’agriculture biologique, une approche naturelle pour Luc Planty qui avait participé à la conversion bio du château Guiraud (grand cru classé en 1855, certifié bio en 2020). « On change de château, pas de philosophie » résume Clémence Planty, qui souligne l’objectif de produire une gamme élargie de vins : du vin liquoreux de Sauternes évidemment, mais aussi du vin rouge de Graves, du vin blanc de Bordeaux blanc et peut-être du crémant de Bordeaux.
« On croit aux vins de Bordeaux et on y a toujours cru » pointe Luc Planty, pour qui la crise est désormais passée à Sauternes, au prix de restructurations techniques et commerciales. « On a intégré le travail en livrable et plus en primeur » précise Clémence Planty, notant que la transition peut être dure pour ceux le découvrant actuellement. N’en étant qu’aux débuts de la relance du château de Malle, Luc Planty répète que le projet sera évolutif, la propriété ayant la force d’être multicarte : avec l’activité touristique (culturelle et œnotouristique) et la production de vins (Graves, Sauternes…).
* : « Les visiteurs pourront réserver par e-mail à l'adresse contact@chateaudemalle.com ou par téléphone au +33 (0)5 56 63 59 33 » annonce Clémence Planty.
Construit en 1598 par Jacques de Malle, président du parlement de Bordeaux, sur la commune de Preignac (Gironde), le château de Malle témoigne dans ses pierres et ses allées de l’histoire de France retrace Clémence Planty, entre cour d’honneur classique et façades de la Renaissance vers les jardins. En 1650, le domaine est géré par Jacques de Malle, conseiller de Louis XIV, qui interdit en 1691 les dorures dans les habitations, conduisant à menuiseries à la capucine encore visible dans le hall d’accueil du château. Dernière représentante de la lignée, Jeanne de Malle épouse Alexandre-Eutrope de Lur-Saluces, qui va marquer le château de Malle avec des jardins à la française et l’apposition de son blason sur les façades (avec ses trois croissants qui ne symbolisent pas le port de la lune de Bordeaux, mais les trois croisades combattues par la famille). En 1785, Louis-Amédée de Lur Saluces se marie avec François Joséphine de Sauvage d’Yquem et rejoint le château d’Yquem, son frère cadet demeure au château de Malle. Deuxième grand cru classé de Sauternes en 1855, le château de Malle est légué par Pierre de Lur-Saluces à Pierre de Bournazel en 1959, dont la famille a gardé la propriété jusqu’à sa vente ce 4 avril 2024.
Si des pièces sont restées en bon état (salon, cabinet de travail, salle à manger, chapelle dédiée à Marie…), d’autres demandent des rénovations conséquentes. Dont certaines seront réfléchies en fonction de la destination touristique du château. Souhaitant valoriser l’histoire et préserver le patrimoine, Clémence Planty réfléchit au « bon angle d’approche » pour le futur centre culturel. Après la préouverture cet été 2024 des jardins, l’objectif est de propose des visites du château dès 2025, avant de prévoir d’ici 5 ans de nouvelles étapes plus structurantes. Comme une offre hôtelière, en redisposant les cours viticoles et de vinification qui encadrent la cour d’honneur.
Façade de style classique pour la cour d'honneur. Photo : Lycia Walter.
Style renaissance du côté des jardins. Photo : Lycia Walter.
La restructuration du vignoble est lancée. Photo : Lycia Walter.