’une erreur de plume à un trait de plume : le décalage d’un dixième de degré d’alcool conduit à une sanction en milliers d’euros pour la cave des Vignerons de Saint-Gely (50 adhérents pour 14 000 hectolitres de vin produits dans le Gard). Entre le Titre Alcoométrique Volumique (TAV) de 12°.alc du vin rouge Pays d’Oc déclaré par la coopérative et le TAV de 12,83°.alc mesuré par FranceAgriMer sur la citerne de 280 hectolitres livrée à la distillerie de Vauvert (Gard), l’écart retenu n’est que de 0,33°.alc (la marge d’erreur de 0,5°.alc étant appliquée), mais il coûte les 18 200 € d’aides à la distillation de crise initialement prévus (sur la base de 65 €/hl pour un vin IGP). Au-dessus des 0,5°.alc acceptés, ce décalage rend non-conforme le lot, qui devient inéligible à la distillation de crise conformément à l’article 2.1.3 de la décision INTV GPASV 2023-43 du 6 juillet 2023. Reconnaissant une erreur sur son Document d’Accompagnement Electronique (DAE), la cave de Saint-Gely appelle FranceAgriMer à faire preuve de bienveillance en revenant sur son refus de recours grâcieux du 20 novembre 2023.
Pour Frédéric Deville, le président de la SCA les Vignerons de Saint-Gely, l’anomalie du TAV s’explique par la charge de travail de cette distillation rapidement mise en œuvre après des mois d’attente. « Nous avons retiré 1 000 hl sur une semaine. Le conducteur de la citerne nous a dit de ne pas nous embêter à tout charger séparément comme toutes les citernes étaient déchargées dans une piscine où tout était mélangé. Pour gagner du temps, nous avons chargé les cuves au fur et à mesure (en mélangeant les fonds de cuve). On a marqué 12 comme on aurait pu marquer 12,5. Nous n’avons pas fait d’analyse en laboratoire comme cela aurait pris la journée » explique le viticulteur gardois, qui regrette que l’analyse de la citerne par FranceAgriMer n’ait pas été immédiatement communiquée pour renvoyer le lot et se mettre d’équerre.
« Notre vin a été retiré en août et on nous a informé en novembre du refus, alors que le vin était déjà distillé » grince Frédéric Deville, pointant que si la cave « avait voulu tricher, on aurait mélangé les vins avec l’eau et le degré aurait été moindre. Mais là, ce n’est pas le cas : on a marqué 12 et à la fin il y a 12,8. Ce n’est que du bénéfice, il n’y a aucun intérêt. » Ayant livré 4 600 hectolitres de Pays d’Oc IGP et d’AOC Côtes du Rhône sur les trois phases de cette distillation 2023, la cave coopérative plaide l’erreur pas la fraude, précisant ne pas avoir soumis de vins de France à la distillation (le Gard ne pouvant en envoyer à la chaudière).
Sollicité, FranceAgriMer ne souhaite pas commenter, mais indique à Vitisphere que « ce dossier a bien été identifié et des échanges ont eu lieu tout au long de la phase d’instruction avec la cave Saint-Gely, sans que nous puissions trouver une issue favorable à ce dossier. » Dans un courrier de FranceAgriMer du 5 janvier 2024, l’établissement indique à la cave que « la situation de votre dossier est arrêtée de manière définitive suite à la contre-analyse de l’échantillon témoin qui précise un TAV de 12,83 % vol », car le « contrôle réalisé par FranceAgriMer à l’entrée en distillerie excède la tolérance admise de 0,5 % ». Une application réglementaire qui reste bête et méchante pour la coopérative mise en difficulté.


Faisant état d’un « cri de ras-le-bol » dans un contexte viticole difficile (la cave ayant toujours des stocks invendus et ayant dû réduire de 40 % ses acomptes en deux ans), Frédéric Deville estime que ce refus revient à « tirer sur l’ambulance. L’argent a été débloqué, le vin a été distillé et payé, cet alcool a servi… Tous au passage ont gagné leur vie et nous n’avons rien, nous qui avons fourni la matière première ». Réalisant en moyenne un chiffre d’affaires d’un million d’euros avec des frais de fonctionnement de 400 000 €, la cave voit fondre les 600 000 € restants pour rémunérer ses viticulteurs. « Ça ne met pas en péril la coopérative, mais si demain on perd des coopérateurs fragilisés, il y aura moins de volumes. Nous sommes une petite coop » prévient son président, qui « n’aime pas pleurer, mais la réalité c’est que ces 18 000 € sont la goutte qui fait déborder le vase après des mois à attendre la distillation, alors que les coûts d’achat du négoce et de la grande distribution sont très bas et que leurs prix de vente ne baissent pas, mais que les verriers se sont gavés… »
Ne voulant pas être la variable d’ajustement, la cave se mobilise en diffusant une lettre d’alerte à tous les contacts possibles et imaginables (voir encadré). « On est tout proches d’élections européennes, peut-être que quelqu’un prendra dossier. Ça ne tient à rien : il suffit qu’une personne qui ait les épaules appelle à Libourne [au centre en charge de FranceAgriMer] et qu’ils appuient sur le bouton. Et l’histoire sera finie » espère Frédéric Deville. Parmi les élus sollicités, le sénateur Laurent Burgoa (Gard, les Républicains) a envoyé ce 27 mai une lettre au ministre de l’Agriculture, Marc Fesneau, pour l’alerter : « si je ne me laisserai jamais aller au populisme, nous ne pouvons que comprendre cette colère, mieux lui apporter une réponse. »
Alors que les tensions sont fortes dans le Gard, Frédéric Deville ne veut pas menacer : « je ne suis pas pour la violence et tout casser. J’ai 48 ans et je suis tendu par la pression maladie, l’herbe qui n’arrête pas de pousser alors que je suis en bio... On traite et travaille comme des canuts. Alors que derrière on sait que le vin se vendra pas ou peu. Il y a des soirs où je n’ai pas le moral. » Face à une erreur de plume, quoi de mieux qu’un trait de plume pour la supprimer ?
Quand l’État français tue une cave coopérative gardoise
C'est l'histoire de la petite Cave coopérative des Vignerons de Saint-Gely créée en 1924 dans le nord du Gard. En bientôt 100 ans, cette grande dame et ses fidèles serviteurs ont toujours été soucieux d'avancer dans le bon sens, c'est pourquoi la cave se lance dans le Bio dès 2000.
24 ans plus tard ce n'est pas moins de 45% des volumes produits par la cave qui bénéficient de la certification Agriculture Biologique.
Mais en août 2023, le marché du vin n'étant pas au beau fixe, la cave décide d'envoyer une citerne de 280 hL de vin rouge IGP Gard à l'Union des Distilleries de la Méditerranée, à Vauvert, dans le cadre de la distillation de crise 2022-2023. Au départ de la cave, le document qui accompagnait la citerne indiquait un Titre Alcool Volumique (TAV) de 12%vol.
A la réception, la citerne est contrôlée par des agents de FranceAgriMer qui cherchaient aventure et que la faim de papier en ces lieux attirait. Après analyse et contre-analyse, le vin est annoncé comme titrant 12.83%vol
Et c'est ici que les Romains s'empoignèrent. Si en aucune façon cet écart ne put troubler la boisson, la bête cruelle, elle, ne tolère pas plus de 0,5%vol entre la valeur annoncée et la valeur mesurée.
Quelles en sont les conséquences ?
Chers lecteurs de ce conte qui n'a rien de féérique, cet écart de 0,33% vol qui fâche tant sa Majesté, c'est l'écart de la honte. 0,33: c'est le degré qui valut à la cave de voir son vin déclaré comme * non conforme" et donc "inéligible à la distillation de crise"
Comme si le ton des premiers courriers n'était pas assez sardonique, se contentant de justifier avec la froideur des chiffres et des différents codes les raisons de cette maraude, FranceAgriMer adresse à la cave le 4 décembre 2023 la confirmation que " le dossier est arrêté de manière définitive et le volume livré reste inéligible à la distillation de crise 2022-2023"
Dans un ultime courrier, suite à une demande de recours gracieux des coopérateurs atterrés, la Directrice de FranceAgriMer notifie à nouveau que l'écart excède 0,5%vol et donc que le dossier reste inéligible. Encore une fois des chiffres, des numéros, des articles, la précision est chirurgicale, tout y est.
La bienveillance, elle, demeure en revanche la grande absente de ce courrier.
On se souvient encore des annonces du 1er Ministre Attal en janvier, au plus fort de la colère agricole, promettant des simplifications, des aides, de l'accompagnement. Ce conte est un exemple concret de ce besoin urgent. Une cave qui sacrifie 280hL de vin qui ne se vend plus dans l'espoir d'en tirer un peu de menue monnaie, ce n'est pas déjà le signe de sa fragilité ? Refuser de payer, c'est charger bien fort la mule
Compte tenu de la situation économique et financière de notre structure, une issue favorable à cette situation délicate nous permettrait de poursuivre notre activité avec un peu plus de sérénité et bénéficierait à tous les adhérents-coopérateurs.
Aujourd'hui, c'est de votre soutien dont on a besoin. Il en va de l'avenir de notre cave mais aussi de celui de nos exploitations et des terres que nous laisserons à nos enfants.
En attendant, au fond des vignes, le grand méchant Loup s'est saisi de l'Agneau et essaie maintenant de le dévorer, sans autre forme de procès.