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Parole de Bernard Magrez, il faut des moyens pour vendre du vin
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Parole de Bernard Magrez, il faut des moyens pour vendre du vin

Avoir un problème sans piste de solution c’est faire partie du problème pour Bernard Magrez, l’homme aux quatre grands crus classés et entrepreneur du vin qui mise sur la connaissance du consommateur et les forces de vente pour prendre des marchés à la concurrence. De la recherche d'un partenaire financier aux rapides changements de consommation, voici 45 minutes de discussion à bâtons rompus avec un véritable coach de vigne à 88 ans.
Par Alexandre Abellan Le 09 juin 2024
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Parole de Bernard Magrez, il faut des moyens pour vendre du vin
Répétant que « l’exemplarité est essentielle », Bernard Magrez cite Napoléon comme « accélérateur de passion » et Voltaire comme figure tutélaire (ici en buste). - crédit photo : Alexandre Abellan
V

os pépinières de start-ups, Bernard Magrez Start-Up Wine, se développent avec leurs lots de concepts originaux. Est-ce que le salut de la filière se trouve pour vous dans l’innovation ? Pour répondre au changement climatique, aux nouvelles tendances de consommation…

Bernard Magrez : Et la protection de l’environnement aussi. La base des incubateurs, avec 49 start-ups à Bordeaux et 15 à Strasbourg, est de se donner des missions pour proposer des solutions étonnantes, qui sortent de l’ordinaire et sont efficaces sur le sol, la pollinisation, le travail avec les satellites… Véritablement, c’est [pour les vignobles Bernard Magrez] un complément à notre entité recherche et développement. C’est un apport beaucoup plus important pour l’avenir de l’entreprise que je ne le pensais quand je l’ai lancé.

La raison de fond pour monter un incubateur était de faire un grand pas de plus dans la philanthropie : aider l’autre, aider les autres. C’est la mission de l’entreprise. J’ai "transpiré" pour arriver là où je suis. J’ai quitté l’école à 13 ans, je suis rentré dans un centre d’apprentissage et j’ai quitté l’étude à 16 ans : comme tout le monde j’avais faim, symboliquement, la rage de m’en sortir. J’ai l’âge que j’ai, et ça continue. La passion efface la fatigue à n’importe quel âge.

 

Vous qui lisez beaucoup de biographies d’entrepreneurs, vous devez être ravi d’être le mécène de ces pousses prometteuses…

D’autant plus qu’ils me disent : "Magrez, vous êtes une start-up ! Puisque vous avez commencé à 20 ans à deux dans l’entreprise." C’est peut-être pour ça que je vous comprends mieux. Et que je comprends la passion que vous mettez, parce qu’il n’y a rien sans passion dans tous les métiers. Je suis là pour aider ceux qui ont souvent quitté un confort dans une entreprise, avec un salaire qui convenait à la vie de leur famille, et se disent qu’ils ont une idée qui est capable de réussir et de me nourrir.

 

Le besoin d’innovation est vif dans la filière vin qui semble actuellement à un carrefour, entre le changement climatique, les nouvelles consommations, les enjeux environnementaux et sociétaux… Comme si tout arrivait en même temps.

Tout se mélange. Et ce serait fou de ne pas citer le milieu concurrentiel des vins étrangers. Qui ont en général des fonds de pension et family offices au capital, leur donnant les moyens alors qu’ils visent la même clientèle que nous. Que l’on soit cru classé, cru bourgeois, marques d’AOP Bordeaux… Ces gens-là sont bons techniquement, efficaces financièrement et ont une équipe commerciale propre. Et il y a surtout le fait indéniable que le consommateur recherche de l’innovation qu’il trouve dans les vins étrangers.

 

La déconsommation mondiale de vin frappe la filière des vins français, alimentant les besoins en arrachage…

Arrachage, pourquoi ? Parce que l’on a beaucoup produit. Mais l’une des racines pour moi d’un petit fléchissement dans la consommation, je n’aime pas le mot déconsommation, est dû à l’hygiénisme. A force d’être percutés par des campagnes contre l’alcool et le vin dans divers pays, les gens se posent évidemment des questions.

 

Un débat est aussi de savoir si le déséquilibre entre offre et demande est lié à de la surproduction ou de la sous-commercialisation.

Il y a surproduction tout simplement parce que dans le monde entier on boit moins, mais on boit mieux. Par définition, cela fait partie de la déconsommation, et le phénomène d’hygiénisme est là. La question est de savoir si cela va augmenter ou se stabiliser.

 

En 70 ans, la consommation de vin a chuté de 60 % en France.

Quand j’ai commencé il y a 60 ans, le vin faisait partie de l’alimentation. L’évolution des goûts a fait cette baisse. C’est pareil dans tous les métiers. Le consommateur cherche de l’innovation pour se créer de nouvelles émotions. Les émotions positives améliorent chacun de nous et sont une nécessité. L’innovation est donc l’une des solutions pour vivre mieux.

 

L’innovation est une forme d’adaptation, selon votre devise "jamais renoncer".

"Jamais renoncer", c’est essentiel pour moi : c’est vivre debout, vivre dans l’optimisme. Que vous le vouliez ou pas, la vie est obligatoirement faite de points positifs et de points négatifs. C’est face aux points négatifs que l’on ne renonce jamais à trouver la solution. Plus vous avancez, plus vous vous dites que vous allez secouer le concurrent. Quand je dis que je ne lis que les autobiographies et biographies de gens qui réussissent, c’est pour avoir cet optimisme.

 

Une autre de vos devises est la signature "les clés du succès" : quelles sont-elles pour le vin aujourd’hui ?

J’ai reçu il y a quelques semaines les 22 commerciales d’une grosse entité chinoise qui m’ont demandé ce que j’entendais par "les clés du succès". Pour moi ce sont les clés de l’excellence : pour faire le mieux possible dans l’attente du consommateur. Pas pour se faire plaisir. Elles me répondent que ce sont les clés de la maison où l’on va trouver de la sécurité, mieux travailler et gagner plus. Notre concurrent mondial, Penfolds signifie en Chine "tu vas devenir riche", c’est la clé de sa réussite accélérée. L’entreprise qui réussit dans n’importe quel métier, c’est celle qui devance les souhaits des consommateurs, qui n’ont pas conscience d’avoir ce souhait. Ce serait beau s’il y avait une seule thérapie pour gagner.

 

Le vin de Bordeaux pâtit-il d’un manque de storytelling clair ou de grandes marques ?

Bordeaux manque de marques. Tous les acheteurs des hypers et supers vous disent que c’est la faiblesse de Bordeaux. Par conséquent, le consommateur ne sait pas trop où il va. Il est anxieux, il peut hésiter et quelque fois il n’achète pas. Parce que le vin est devenu un produit de statut, on boit moins, mais on boit mieux et par conséquent on est anxieux de ne pas se tromper comme on ne peut déguster le vin, en hyper, super et même en cavistes.

Dans les études que l’on mène, 70 % des sondés disent choisir leurs vins selon la désirabilité de l’étiquette. Pour montrer qu’ils connaissent quand ils vont offrir cette bouteille ou la présenter sur la table. Ce qui flatte l’égo de celui qui ne s’est pas trompé et témoigne d’un effort pour ses convives. Notre chance, c’est que notre marque est éponyme et que j’ai ma photo sur toutes les contre-étiquettes depuis 1993. L’important c’est de montrer que je suis le responsable du vin, que ce n’est pas la bouteille de la société anonyme de château machin ou la marque untelle. Mon roi, c’est le consommateur.

 

Le consommateur semble encore plus difficile à saisir dans sa complexité et ses paradoxes…

C’est la richesse du métier. C’est formidable que le consommateur soit de plus en plus insaisissable. Il faut faire des études, des tests, se pencher et penser. Il ne faut pas gérer avec le rétroviseur. Il faut écouter le consommateur. Ce n’est pas facile à Bordeaux, ce n’est pas facile ailleurs. Quand j'avais 25 ans, on se battait pour avoir du Beaujolais nouveau. Puis ça a plongé et maintenant ça revient. Beaucoup ont dit que le Beaujolais était enterré à vie : ce n’est pas vrai. La mode part et revient.

 

L’une des craintes de la filière est d’enterrer plus de consommateurs qu’elle n’en voit naître de nouveaux.

Quand il y a un marché de cette dimension, perdant 3 à 5 % par an globalement (avec des produits souffrants plus quand d’autres augmentent), il y a toujours la possibilité pour une entreprise de prendre des parts de marché aux autres. Le combat n’est pas linéaire, sinon ce serait triste.

 

Sans doute alimentée par les difficultés actuelles de Bordeaux, y compris en primeur, une rumeur répète que votre groupe serait à la vente à la découpe…

Je n’ai jamais caché que je cherche quelqu’un pour rentrer dans l’entreprise. Ça ne date pas d’hier, mais d’il y a deux ou trois ans. Je suis conscient que la part de marché des vins étrangers augmente en prenant notamment des marchés aux vins français. Je cherche quelqu’un qui puisse m’apporter des moyens comme le monde du vin va très vite, plus vite qu’on ne le croit. Je cherche du gaz. J’ai construit depuis 2004 tout ce que j’ai en grand cru classé, ce n’est pas beaucoup 20 ans. Il faut des moyens pour faire des études, avoir plus de collaborateurs, construire et trouver des idées, sortir des produits… C’est ça le boulot, le reste ce sont des chansons.

L’innovation va être un bréviaire pour lui. C’est mon avis, je ne dis pas que j’ai raison. Le consommateur n’a jamais autant changé et va de plus en plus changer. Pour gagner, il faut abandonner ses certitudes. Ça s’appelle penser contre soi-même. S’obliger à quitter ses systèmes de raisonnement habituels parce que ça ne correspond pas à l’évolution de notre roi qui est le consommateur. Penser contre soi-même, c’est plus facile à dire qu’à faire.

 

Pour changer votre point de vue quels sont les exemples qui vous inspirent le plus ?

Le plus immense c’est Pierre Castel, bien entendu. À la fois dans le vin et la bière, c’est un génie. Il voit là où les autres ne voient pas. Il se remet en question, il est stimulant, dur avec lui-même, travailleur forcené... C’est mon seul ami et ce n’est pas pour ça que je dis qu’il est un génie. C’est un bel exemple, hors du commun. Il a quitté l’école à 12 ans. Ce n’est pas un héritier. Regarder l’autre et se demander pourquoi il réussit pour tenter de faire pareil permet de devenir soi-même un exemple.

 

Au-delà de la pépinière de start-ups, votre entreprise a aussi incubé des talents que l’on retrouve dans toute la filière… Et qui ne cachent pas que ça n’a pas été facile, comme vous êtes très exigeant.

C’est dans le cœur de l’entreprise qu’on trouve des thérapies pour sortir des mauvais moments. C’est en prenant le pouls de vos collaborateurs en permanence que vous pouvez les amener du point B au point A. C’est le rôle du patron. Dans mon bureau, il y a écrit : "celui qui rentre dans ce bureau avec un problème sans solution, fait partie du problème". Et après j’ai rajouté "la confiance c’est comme une allumette, ça ne s’allume qu’une fois". Le collaborateur qui rentre dans mon bureau, je lui demande de m’amener une idée, pas de me servir le plat froid en me disant "tiens, il faut que ça chauffe".

 

Vous mettez la pression à vos collaborateurs…

Je me la mets à moi aussi !

 

Quels seraient vos homologues dans les autres vignobles : Gérard Bertrand dans le Languedoc, Michel Chapoutier dans le Rhône ?

Guigal aussi est bon. Mais tous ont eu un père avant eux, pas moi. Je dis ça incidemment (rires). Ils sont exemplaires. Quand les gens disent que l’on ne peut rien faire dans le vin, je leur dis de regarder Chapoutier, Guigal, Bertrand et il y en a d’autres. Ils sentent le consommateur.

 

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