On a repoussé le tas de sable, il peut nous tomber dessus à tout moment » résume Florent Morillon, le président du Bureau National Interprofessionnel du Cognac ce mercredi 22 mai à Cognac. Saluant l’évocation de l’enquête antidumping chinoise par le président de la République Française, Emmanuel Macron, lors de la visite d’État du président de la République Populaire de Chine, Xi Jinping, le 6 mai dernier à Paris (« ce n’était pas gagné » rappelle Florent Morillon), la filière charentaise n’en retient qu’une avancée réelle : l’absence de droits antidumpings provisoires. Reste donc active la procédure d’enquête, et ses risques de droits de douanes imposés de manière soudaine (avec ce que cela implique comme fermeture du marché*). « On peut avoir des taxes à tout moment » répète Florent Morillon, pour qui « le combat continue » avec la demande d’« actions fortes de notre gouvernement pour nous sortir de l’ornière ». Et ce alors que l’escalade des tensions commerciales entre l’Union Européenne et la Chine se poursuit.
La Commission Européenne venant d’indiquer qu’elle se prononcera ce 5 juin si elle impose des taxes aux voitures électriques chinoises à partir de ce 4 juillet dans le cadre d’une enquête antidumping. En anticipation, la Chine a déjà fait passer le message qu’elle avait des contremesures sous le coude, pouvant notamment cibler les vins européens. « On préfèrerait rester seuls dans la gestion de ce dossier, mais il y a un risque de propagation » confirme Raphaêl Delpech, le directeur général du BNIC, qui aujourd’hui n’a plus de doute sur le fait que le dossier antidumping Cognac est lié à celui des voitures électriques chinoises : « un certain nombre de gouvernements et de constructeurs européens prennent leurs distances avec l’enquête, ce n’est pas le cas de la France. Cette posture nous met en position qui n’a jamais été aussi risquée. » Et ce pour toute la filière, pas seulement les grandes maisons avertit Christophe Véral, le vice-président du BNIC : « on ne peut pas rester dans l’ornière. On ne peut pas entendre nos ministres qui sont viennent à Cognac nous dire que nous sommes l’un des fleurons du commerce extérieur et être des victimes collatérales de quelque chose qui ne nous regarde pas. »
L’échéance de juillet inquiète particulièrement Cognac : « nous avons besoin du gouvernement. Ce dossier ne peut être réglé que politiquement » tranche Florent Morillon, qui « préfère taper du poing sur la table » plutôt que de voir une filière tricentenaire être sacrifiée sur l’autel d’industries nouvelles. « Notre crainte est la fermeture prématurée de l’enquête pour imposer des droits de douane » ajoute Raphaël Delpech, indiquant que dans le cadre de l’enquête chinoise, « notre dossier est très solide. Si la procédure va jusqu’à son terme, nous sommes confiants et prouverons qu’il n’y a pas de dumping. »
Alors que 60 entreprises charentaises viennent de rendre leurs questionnaires ce lundi 20 mai, « la fatigue s’installe » rapporte Florent Morillon, notant que des équipes sont dédiées à ce sujet dans de nombreuses entreprises depuis l’ouverture de l’enquête chinoise ce 5 janvier. Le président du BNIC l’illustre par un dossier de 20 000 pages remis par « une grande maison » qui aura coûté « plus d’un million d’euros » (de frais de traduction, d’avocats…). Soutenant les opérateurs charentais en partenariat avec la Fédération des Exportateurs de Vins et Spiritueux (FEVS), le BNIC estime à 500 000 € l’enveloppe actuellement dédiée à cette procédure. Qui se poursuit toujours rappelle Raphaël Delpech.
Ces incertitudes géopolitiques s’ajoutent à un contexte macroéconomique incertain pour les ventes de Cognac, le marché asiatique restant difficile, tandis que la reprise américaine reste timide. Sur l’année glissante s’achevant fin avril, Cognac a expédié 160 millions de bouteilles pour 3,3 milliards d’euros d’eaux-de-vie, en repli de 14 % par rapport aux douze précédents mois. Alors que la guerre en Ukraine et le conflit israëlo-palestinien ajoutent aux tensions actuelles, Florent Morillon rappelle que les taxes Trump ne sont suspendues que jusqu’au premier janvier 2025 aux États-Unis : un autre front pourrait s’ouvrir rapidement pour l’export des vins et spiritueux français… Malgré tout, Cognac indique avoir des tendances positives sur le moyen et le long terme, « si ce n’était pas le cas, toutes les grandes maisons ne continueraient pas d’investir comme les viticulteurs », même si la voilure va être réduite à court terme et « même si l’on va passer une période difficile » reconnaît Florent Morillon, s’attendant à « une année 2024 en dents de scie ». Voire en dents de si : si Cognac perd la Chine...
* : Ayant déjà menacé les vins européens de mesures de rétorsion en 2013, en parallèle d’un conflit sur les panneaux solaires, la Chine avait bien sauté le pas pour les vins australiens, visés par des droits d’accise allant jusqu’à 218 %. Suspendues en mars dernier, ces taxes punitives ont duré plus de trois ans et réduit à peau de chagrin le leadership des vins d’Australie en Chine…