ur les douze mois se terminant en octobre 2020, la filière australienne voyait ses exportations vers la Chine atteindre un pic de 1,21 million d’hectolitres pour une valeur de 1,3 milliard AUD (soit environ 790 M€). Fin décembre 2023, ces mêmes exportations étaient passées à 14 000 hectolitres d’une valeur de 10 millions AUD (6 M€). C’est dire à quel point la chute a été brutale, et qu’elle a laissé les professionnels australiens totalement désarmés. La difficulté a été exacerbée par leur dépendance envers le marché chinois, très demandeur des vins rouges qui prédominent dans la production australienne, y compris les millésimes anciens que d’autres marchés n’achetaient pas.


Le bilan dressé par Wine Australia fin mars pour qualifier l’impact de cette situation sur la filière vitivinicole australienne est éloquent. En effet, il note que « depuis l’imposition de ces droits de douane, aucun autre pays n’est venu remplacer le volume de vin que l’Australie exportait vers la Chine. Les données d’importation officielles provenant du Trade Data Monitor montrent que les importations totales de vins en Chine sont passées de 688 millions de litres en 2018 à 248 millions en 2023, soit un tiers de leur niveau d’il y a cinq ans ». Kirsty Balnaves, présidente de l’association qui regroupe les producteurs de l’Australie méridionale (SAWIA) – région qui assurait plus de 70% des exportations australiennes vers la Chine en 2020 – souligne l’importance de cet accord pour la filière locale, tout en y mettant un bémol. « Les entreprises en Australie méridionale comprennent que le marché chinois du vin a évolué depuis l’imposition des droits de douane. La concurrence est désormais beaucoup plus forte qu’avant, se traduisant par une offre bien plus étendue pour les consommateurs à différents positionnements prix ».
Son avis est partagé largement dans la filière, avec même certaines mises en garde, comme celle d’Andrew Kay, directeur de la chambre de commerce de l’Australie méridionale : « Personne ne peut garantir la réaction du marché chinois, mais il est peu probable que nous revenions à la période faste, du moins à court terme. Il est important que nous tirions les leçons de l'histoire et que les établissements vinicoles d'Australie-Méridionale envisagent cette nouvelle et leur réaction d'un point de vue stratégique plutôt qu'opportuniste ». Sa prudence trouve un écho parmi les gros producteurs australiens, à l’instar de Winegrapes Australia, toujours en Australie Méridionale, qui compte plus de 2 000 hectares de vigne en propre. « Je ne vais pas tout laisser tomber pour retourner en Chine », affirme sa directrice Paula Edwards. « Je vais continuer à construire les relations que j’ai établies entretemps et qui sont devenues très importantes pour nous ». Même si l’entreprise commercialise à 95% ses vins en vrac – non concernés par les droits de douane – elle a néanmoins été impactée par la décision chinoise : « C’était très problématique pour beaucoup d’opérateurs australiens parce qu’on n’avait jamais de garanties que les expéditions allaient pouvoir entrer sur le territoire chinois ».
L’annonce de la suspension des droits de douane a néanmoins suscité beaucoup d’espoirs et de reprises de contacts. « L’annonce provisoire est intervenue lors de ProWein », explique Paula Edwards. « J’ai reçu pas mal d’opérateurs chinois qui souhaitaient réorienter leurs approvisionnements en vrac vers l’Australie. Il y a beaucoup de discussions en cours. Je sais qu’il y a un certain nombre d’entreprises australiennes qui ont déjà expédié des vins vers la Chine ». Il faut dire que la situation pour de nombreux producteurs est devenue intenable : les acheteurs manquent à l’appel, les stocks s’accumulent et les prix sont au plus bas. Cette nouvelle arrive donc forcément à point nommé : « Les droits de douane ont été catastrophiques pour notre secteur et le rétablissement du marché chinois fera toute la différence pour nos producteurs », confirme Lyndall Rowe, directrice de Riverland Wine, la principale région viticole du pays avec un tiers de la production.
Les politiques australiens sont au rendez-vous pour aider les exportateurs à retrouver le chemin vers la Chine. Début avril, le gouvernement d’Australie méridionale annonçait un financement de 1,85 million AUD (soit 1,1 M€) sur deux ans pour aider les producteurs et exportateurs à renouer avec le marché chinois. D’autres gouvernements à travers les régions viticoles ont fait de même, annonçant tous azimuts, des ateliers, animations, missions d’acheteurs et autres opérations de mise en relation pour capitaliser sur la réouverture du marché. Si les aides s’accompagnent d’un volet « gestion des risques », l’enthousiasme en Australie est particulièrement palpable : « C’est la meilleure nouvelle que le secteur vitivinicole australien ait reçu depuis fort longtemps », se réjouissait Bruce Tyrrell de la maison du même nom. « Notre filière a vraiment besoin de ce retour [sur le marché chinois] ».