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Les Marches, c’est comme l’Auvergne chez vous : sombre et pas réputé pour son vin ! » sourit Massimo Carletti, qui cultive les 4 ha de son domaine Podere Sabbioni dans le petit village de Corridonia, à 25 km de la mer Adriatique. Cette petite surface est un choix. Massimo Carletti veut tout réaliser lui-même, comme son maître à penser le Bourguignon Henri Jayer. « Je veux être tous les jours sur le terrain, pour apprendre », déclare-t-il. Massimo cultive des cépages rarissimes comme le maceratino. « C’est un raisin blanc qu’on trouve uniquement près de la ville de Macerata et que nous sommes seulement quatorze vignerons à produire, explique-t-il. Le vin se nomme ribona, ce qui signifie en dialecte “parfois bon”. » Vendre une telle curiosité est une gageure. Mais Massimo y parvient.
À 60 km de là, vers l’intérieur des terres, la jeune Ginevra Coppacchioli relève un autre défi. Elle cultive 2,8 ha de vignes à 1 000 m d’altitude dans un village de vacances abandonné, Cupi di Visso. « Avec 30 % de pente, tout est manuel, on n’a presque pas de mécanisation », explique-t-elle. Amoureuse du champagne, elle y cultive du chardonnay et du pinot noir qu’elle vinifie en méthode traditionnelle. Elle développe en outre le vissanello, le cépage de son village, non greffé.
Quant à la Cantina Tiberi David, presque à mi-chemin entre ces deux exploitations, elle tire un vin cuit traditionnel de son unique hectare de vigne qu’elle élève longuement en fût de chêne. « On a encore du 1964 en fût ! Il est devenu quasi sec, s’émerveille Emanuela Tiberi, la propriétaire qui vit également du maraîchage et de la culture d’oliviers. On ne produit que 4 000 bouteilles par an que nous vendons 50 € les 50 cl au consommateur et que nous exportons aux États-Unis, en Suisse et en Allemagne. »
Point commun entre ces trois entreprises improbables et prospères : elles sont membres de la fédération italienne des vignerons indépendants (Fivi, Federazione Italiana Vignaioli Indipendenti). Nous les avons rencontrées en octobre dernier lors d’une présentation de vins des Marches organisée par la Fivi et la chambre de commerce de la région. Toutes sont fans de leur syndicat. Pour Massimo Carletti, « la Fivi fait un travail extraordinaire de promotion pour les vins des Marches. C’est une famille, on partage tous la même philosophie de vie. » « La fédération nous fait gagner en visibilité, ajoute Emanuela Tiberi, qui participe à tous les salons du syndicat avec son vino cotto. On n’a qu’un hectare, mais il y a des domaines encore plus petits que nous à la Fivi ! »
Ce modèle artisanal et familial est en effet très présent en Italie. La Fivi lui offre de nombreuses opportunités de vendre ou de présenter ses vins. « On organise des salons locaux, le grand salon des vignerons indépendants à Bologne en novembre, des événements dans des restaurants et le Samedi du vigneron, une journée de portes ouvertes dans toutes les caves d’Italie, le premier samedi de mai », détaille Massimo Palmieri (Tenuta San Marcello), le délégué des vignerons des Marches à la Fivi.
En Italie, le logo des vignerons indépendants représente un homme tenant une cuve de raisin et dont l’ombre figure une bouteille. En version humoristique, sur les T-shirts, l’homme supporte un monceau de paperasses qui fait s’écrouler le raisin, légendé : « La bureaucratie nuit gravement à la santé ». Comme en France, les vignerons croulent sous les formalités.
Le soutien de la Fivi leur donne des ailes pour tenter des expériences. Avec 15,5 ha, Piergiovanni Giusti est loin d’être un microvigneron. À la tête de la Cantina Luigi Giusti, à quelques kilomètres de l’Adriatique, il travaille avec son fils Alberto qui s’apprête à prendre sa succession. Leur vignoble est presque entièrement consacré à un cépage ultralocal rouge, le lacrima di morro d’Alba, qui bénéficie d’une DOC. Depuis peu, le père et le fils le vinifient en rosé, une couleur dont l’Italie n’a longtemps pas voulu. « Le rosé, c’est mon blanc : j’ai des clients restaurateurs près de la mer qui l’apprécient toute l’année, et pas seulement l’été ! », s’enthousiasme Piergiovanni.
Plus au sud, Rocco Vallorani est un autre fervent de la Fivi. « Elle fait comprendre aux consommateurs que le vin peut être élaboré par quelqu’un depuis la plante, qu’il est l’héritage reçu d’un prédécesseur. L’industrie du vin ne fait pas ce travail de transmission », remarque-t-il. Rocco Vallorani cultive également des cépages rares « qu’on a découverts au sud des Marches : pecorino et passerina. On produit 50 % de rouge et 50 % de blanc, et un peu de rosé, une couleur que les gens commencent à apprécier ».
Pour Raffaele Paolini, « la Fivi donne aux petites wineries la possibilité de faire connaître notre belle région, de partager des techniques, de parler de notre façon de faire du vin, de rester proche les uns des autres ». À la tête de Terra Argillosa, située dans la petite commune d’Offida, ce vigneron produit des vins originaux sur ses coteaux : un effervescent en cuve close à partir du cépage blanc pecorino et un « petì verdò » qu’il a acclimaté du Bordelais. Plus qu’un syndicat, la Fivi est un groupe d’amis pour tous ces producteurs qui cultivent leur singularité.
Située entre Émilie-Romagne et Abruzzes, orientée vers la mer Adriatique, les Marches sont l’une des régions les moins connues d’Italie. « Nos grands-pères disaient qu’il est impossible de faire un vin supérieur à 9 % !, se souviennent les vignerons. Ils vendangeaient le montepulciano mi-novembre, sous la neige. » Cette région de vallées et de montagnes, qui culmine à 2 472 m, ressemble à un peigne dont les dents seraient dirigées vers la mer. Elle produit quinze DOC et cinq DOCG. Elle ne souffre guère du réchauffement climatique. Déjà, les investisseurs d’autres régions s’intéressent à ce climat préservé où les vignes se vendent de 50 000 à 70 000 €/ha.
