our la deuxième fois en trois ans, le Conseil d’État se penche sur le classement 2012 des crus de Saint-Émilion : mais contrairement à son arrêt du 12 février 2021 ayant relancé la procédure de trois châteaux non-classés en donnant droit à leur pourvoi en cassation, la plus haute juridiction administration met un terme au dernier procès encore mené en rejetant les demandes du château Corbin Michotte. N’ayant pas été retenue par la commission de classement de 2012, la propriété de la famille Boidron avait inlassablement attaqué devant la justice administrative sa décision du 5 septembre 2012, malgré un rejet devant le tribunal administratif de Bordeaux (17 décembre 2015), deux rejets devant la cour administrative d'appel de Bordeaux (12 avril 2019 et 22 mars 2022).
Précédemment accompagnée par deux autres propriétés déclassées, le château Corbin Michotte était désormais seul, les châteaux Croque Michotte et la-Tour-Pin-Figeac ayant été rachetés respectivement aux familles Carle par l’assureur Generali et aux familles Giraud par le château Cheval Blanc (groupe LVMH, qui a retiré son domaine de la procédure de classement 2022). Résistant encore et toujours à l’arrêté du 29 octobre 2012 portant homologation du classement de Saint-Émilion, le château Corbin Michotte est définitivement débouté par le Conseil d'État ce vendredi 15 mars.


Réfutant les arguments des plaignants, la juridiction balaie notamment l’idée que le classement constituerait une « procédure menée en méconnaissance du principe d'impartialité à raison de l'intervention de deux propriétaires de châteaux concurrents, membres du comité national » de l’Institut National de l’Origine et de la Qualité (INAO), soit Hubert de Boüard et Philippe Castéja, qui ont respectivement été condamné à 60 000 € d’amendes et relaxé de toute poursuite pour « prise illégale d’intérêts » par le tribunal judiciaire de Bordeaux le 25 octobre 2021. Le Conseil d'État valide que la « cour a relevé, d'une part, que les intéressés n'avaient pas participé au vote sur l'adoption du règlement de classement lors de la séance du comité national du 10 février 2011, et qu'il ne ressortait pas des pièces du dossier que ce règlement avantageait l'un ou l'autre des candidats au classement ». Dans son arrêt du 22 mars 2022, la cour d’appel indiquait que « le jugement du tribunal correctionnel précise que monsieur de Boüard de Laforest n’était pas poursuivi pour trafic d’influence, mais pour prise illégale d’intérêts, qu’ainsi le tribunal n’avait pas à rechercher s’il avait été ou non avantagé ». Une approche validée par le Conseil d'État.
Sur les autres éléments soulevés par le château Corbin Michotte, la juridiction valide toute la procédure de classement élaborée par l’INAO pour le Conseil des Vins de Saint-Émilion (grilles de critères de classement, qualité des vins, notoriété des châteaux…). « Il résulte de tout ce qui précède que [les plaignants] ne sont pas fondés à demander l'annulation de l'arrêt qu'ils attaquent » conclut le Conseil d’État, qui somme la propriété déboutée de verser 3 000 € au profit de l’INAO. Qui note dans un communiqué que cette décision « met un terme à 11 ans de procédure devant les juridictions administratives » et « confirme la légalité des travaux menés par la commission de classement lors du classement de 2012 ».
Un constat qui peut être étendu au classement de 2022, dont le dernier procès vient d’être purgé par l’arrêt de la quatrième chambre du tribunal administratif de Bordeaux rendu ce jeudi 25 janvier. La juridiction a rejeté la demande du château Pierre Premier de rendre recevable sa demande de candidature au dernier classement. Un dossier déjà étudié, et rejeté, en référé par le tribunal administratif de Bordeaux début 2022, sur les mêmes arguments : la propriété de Jean Dutruilh refusant d’être exclue d’office pour non-conformité avec l’article 4 de l’annexe de l’arrêté du 14 mai 2020, qui impose que les candidats puissent « répondre au cours des dix dernières années pour les "grands crus classés" et des quinze dernières années pour les "premiers grands crus classés" à une utilisation régulière du nom du cru pour lequel le classement est revendiqué ». La défense du château Pierre Premier plaide une confusion de l’INAO entre nom du cru, nom de l’exploitation et marque commerciale, comme son assiette foncière est identique depuis 1984, mais que son nom historique de château Croix Figeac a dû changer après un arrêt de la cour d’appel de Bordeaux (30 novembre 2012), dans le cadre des attaques systématiques du château Figeac envers tous ses voisins reprenant ce nom.
Face au nouveau rejet du tribunal administratif, « on s’est fait renvoyer dans nos 22 mètres » réagit Jean Dutruilh, pour qui « on a perdu notre nom pour déceptivité de la marque château Figeac. Nous n’avions pas le choix de changer de nom, c’est la loi qui nous y a obligé. » Annonçant ne pas faire appel, le propriétaire note que ce non-classement ne l’aura pas gêné commercialement, mais aura représenté une grosse perte au niveau foncier, alors qu’il imaginait une cession (ayant 67 ans). Le point positif de cette préparation au classement 2024 aura été de le contraindre à « faire les travaux que j’avais toujours reporté » pointe Jean Dutruilh avec philosophie.
Ainsi s’achève la saga judiciaire des classements 2012 et 2022 de Saint-Émilion.