et hiver, les juges des référés du tribunal administratif de Bordeaux deviennent la succursale du classement des vins de Saint-Émilion. Ce 3 mars, la juridiction étudie une nouvelle demande d’annulation d’irrecevabilité pour un candidat malheureux à la révision décennale des grands crus de la rive droite : celle du château Pierre Premier*, qui demande d’être réintégré au processus actuellement en cours auprès de l’Institut National de l’Origine et de la Qualité (INAO). Après deux repêchages fin 2021 (avec les châteaux Croix de Labrie et Tour Saint-Christophe) et un refus début 2022 (avec le château Rocheyron) sur des notions d’évolutions d’assiette foncière, le juge des référés doit désormais se prononcer sur des enjeux d’usage de nom du cru candidat.
Dans son article 4, le règlement de classement de l’AOC Saint- Émilion grand cru annexé à l’arrêté du 14 mai 2020 indique que tout candidat doit « répondre au cours des dix dernières années pour les "grands crus classés" et des quinze dernières années pour les "premiers grands crus classés" à une utilisation régulière du nom du cru pour lequel le classement est revendiqué ». Or, le château Pierre Premier s’appelait château Croix Figeac jusqu’à l’arrêt du 30 novembre 2012 de la première chambre civile de la cour d'appel de Bordeaux. La juridiction bordelaise annulant la marque pour déceptivité, car elle « donne faussement à croire que les vins commercialisés proviennent de l’ancien domaine du château de Figeac, lequel produit un vin particulièrement illustre, premier grand cru classé B dans l’appellation d’origine contrôlée Saint-Émilion, [et] présente un caractère déceptif manifeste, en ce sens qu’elle entretient la confusion dans l’esprit du public sur la nature, la qualité ou la provenance des vins qu’elles désignent ».
Ayant animé les prétoires bordelais pendant des années, les attaques du château Figeac sur les noms commerciaux de ses propriétés voisines trouve donc un nouvel épisode dans une autre saga judiciaire, celle du classement de Saint-Émilion. Défendant le château Pierre Premier, maître Caroline Laveissière souligne que si la propriété est stable depuis son acquisition en 1984 (« permanence du château, du propriétaire, de l’assiette foncière… »), la modification de sa marque commerciale à partir du millésime 2013 était subie (« ce n’était pas un choix »). Ajoutant qu’un classement ne manque pas de conséquences financières (augmentation du prix des bouteilles et valorisation du foncier), la vice-bâtonnière bordelaise Caroline Laveissière estime que le règlement de l’INAO ne définit pas le nom d’un cru et que les contraintes de l’article 4 manquent de bases légales.


Rappelant en défense de l’INAO que le règlement de classement est arrêté par un décret ministériel, maître François Pinet répond que l’obligation de la permanence du nom n’est pas la seule contrainte imposée aux candidats, permettant ainsi d’utiliser des mentions traditionnelles réglementées (« grand cru classé et premier grand cru classé »). Concernant la modification judiciaire du nom de château Croix Figeac, l’avocat parisien souligne que « ce n’est pas un évènement de force majeure, c’est en réalité la sanction d’un comportement délictueux par l’autorité judiciaire. On ne peut que constater qu’il n’y a pas d’utilisation régulière. »
Le délibéré est attendu avant la mi-mars.
* : Du nom de son propriétaire, Pierre Dutruilh, sans lien avec le tsar de Russie éponyme.