Baptiste Sneiders, ingénieur suisse spécialiste des dangers naturels, basé dans le Canton du Valais, a étudié l’impact du réchauffement climatique sur S. titanus selon deux scénarios (+ 2 et + 4 °C). Il en ressort que le réchauffement va profiter aux cicadelles dans les vignobles du Nord et en altitude, alors qu’il va leur nuire dans le Sud, les œufs souffrant au-delà de 30 °C et les adultes au-delà de 40 °C. Dans le cas le plus favorable à l’insecte, le réchauffement pourrait entraîner la survenue d’une seconde génération. Dans le Val de Loire, il devrait provoquer des éclosions et des infections plus précoces, mais pas de seconde génération.
Casanières, les cicadelles de la flavescence dorée ? Pas du tout. « Contrairement à ce qu’on peut lire dans la bibliographie, S. titanus est assez mobile : les adultes parcourent régulièrement au moins 400 m », déclare Audrey Petit, ingénieure en protection du vignoble au sein de l’IFV Sud-Ouest. Le résultat d’observations réalisées en 2020, 2021 et 2023. Pour suivre les cicadelles, la chercheuse a appliqué de l’albumine sur une vigne infestée puis disposé des pièges dans un rayon de 150 m autour de la zone marquée la première année, de 230 m la deuxième année et de 450 m la troisième. Elle a ensuite cherché les cicadelles portant des traces d’albumine, c’est-à-dire celles qui étaient parties du point de départ.
« La première année, les adultes ont facilement parcouru les 150 m. La deuxième année, au bout de cinq jours nous avons retrouvé beaucoup d’individus à 230 m. Donc les déplacements sur cette distance sont massifs et rapides. En 2023, nous avons capturé peu d’individus à 450 m mais la population de départ était elle-même faible. Nous nous demandons à présent si un individu se déplace fréquemment ou pas. On s’interroge aussi sur l’effet du paysage. »
En attendant d’établir des réponses, ce travail renforce l’idée que la présence de friches ou de repousses de porte-greffes à proximité des vignes cultivées peut saboter les efforts de lutte des vignerons. « Plus que jamais, la lutte doit être collective et globale », insiste Audrey Petit.
Peut-on empêcher S. titanus d’acquérir et de transmettre à la vigne le phytoplasme de la flavescence dorée ? Une équipe de l’Inrae de Bordeaux y travaille. Elle a remarqué que le phytoplasme a besoin d’un premier récepteur chez l’insecte pour l’infecter (la protéine uk1_LRR) et d’un second pour s’y développer (une autre protéine, la clathrine). L’équipe a aussi observé que l’on peut réduire la production de ces deux protéines dans les cellules de l’insecte, in vitro, par la méthode dite des ARN interférents. De quoi développer, un jour peut-être, des produits qui rendraient les cicadelles invisibles pour le phytoplasme. « Cette étude reste très exploratoire », indique Audrey Petit, qui a présenté ces travaux.
Spécialiste de la flavescence dorée à l’Inrae de Bordeaux, Sylvie Malembic-Maher en est convaincue : la maladie progresse assez lentement mais efficacement. Avec son équipe, elle a suivi en 2018 et 2019 un foyer bordelais étendu sur trois parcelles, une de cabernet sauvignon et deux de merlot. Épicentre du foyer, la parcelle de cabernet était infectée à plus de 20 %. « Le viticulteur réalisait tous les arrachages mais pas les traitements obligatoires », précise la chercheuse. En plus de suivre ces trois parcelles, son équipe a récupéré les données de prospection du Gdon des Bordeaux dans un rayon de 300 m.
Ce travail montre que la maladie progresse en moyenne de 17 m par an, que 80 % des contaminations d’une année se produisent dans un rayon de 22 m autour d’un cep atteint, et que ces contaminations deviennent très rares au-delà de 50 à 100 m. « On note une dispersion assez faible mais une transmission efficace de la maladie », souligne Sylvie Malembic-Maher.
En Champagne, les résultats sont quelque peu différents. L’équipe a analysé les résultats du suivi, de 2020 à 2022, de 7 ha dans l’Aisne. Résultat des observations : 50 % des contaminations ont lieu dans un rayon de 34 m autour d’un cep malade, et 80 % dans un rayon de 54 m. « La dispersion est un peu plus large, indique la chercheuse. La probabilité d’infection du chardonnay est 1,8 fois supérieure à celle des pinots noirs et meuniers, qui sont un peu moins sensibles à la maladie. » L’objectif de ces travaux ? « Orienter les prospections et les prélèvements sur les secteurs à risque. »
Afin de déterminer si la suppression des ceps contaminés peut suffire à stopper la flavescence dorée, l’Inrae de Bordeaux a simulé l’évolution de la maladie selon différents niveaux d’arrachage desdits pieds (de 0 à 100 %). « L’arrachage ne suffit pas, soutient Sylvie Malembic-Maher. Même si l’on supprime tous les ceps symptomatiques, la maladie se disperse, en partant des ceps infectés mais non symptomatiques ». En effet, les ceps qui contractent la maladie une année donnée n’expriment de symptômes qu’à la fin de l’année suivante. Entretemps, les cicadelles peuvent y acquérir le phytoplasme et le transmettre à d’autres pieds. Ce qui explique pourquoi la lutte contre la flavescence semble toujours avoir un temps de retard. « Remédier à ce problème nécessiterait d’arracher tous les pieds dans un rayon déterminé autour d’un pied symptomatique », indique la chercheuse. Ce qui est difficilement envisageable. Il faut donc combiner arrachage et lutte contre la cicadelle.