inq à sept fois de plus de cicadelles adultes dans les parcelles conduites en bio que dans les conventionnelles : c’est le constat qu’Audrey Petit, ingénieure en protection du vignoble au pôle Sud-Ouest de l’Institut français de la vigne et du vin, a dressé lors de ses dernières recherches sur l’insecte, à Gaillac et à Cahors. « Entre 2019 et 2021, nous avons suivi les insectes adultes sur différentes parcelles, indique-t-elle. Nous nous sommes aperçus que les populations étaient plus nombreuses dans les vignes cultivées en bio que dans des parcelles conventionnelles. »
Céline Alozy, technicienne de la Fédération départementale de défense contre les organismes nuisibles (Fédon) de l’Aude, ne semble pas vraiment surprise par ces observations. Chaque année, de mai à juillet, elle mène des comptages de larves sur une cinquantaine d’hectares protégés par les traitements obligatoires. Elle aussi constate des différences selon le mode de culture. « Sur les parcelles conduites en bio, on observe toujours des cicadelles à tous les stades larvaires (L1 à L5) et même des adultes. Alors qu’en conventionnel, les larves ne se développent pas au-delà du stade L4 ; on ne trouve pas de larves au stade L5, ni d’adultes. Elles sont détruites par les traitements avant de pouvoir se développer jusqu’à leur terme », assure la technicienne.
En Gironde, sur les 15 000 hectares de vignes suivis par le Gdon du Libournais, 25 % sont conduits en agriculture biologique. Antoine Verpy, directeur de l’organisme, observe régulièrement des différences entre les parcelles bio et les conventionnelles. « Tous les ans, on effectue des comptages de mai à juillet, avant le premier traitement, puis 48 heures après. Dans les parcelles en bio, on s’aperçoit qu’il est très difficile de descendre en dessous de une à cinq larves pour 100 feuilles. Il reste en permanence un fond de population, ce qui n’est pas le cas dans les vignes en conventionnel. »
Antoine Verpy émet une hypothèse pour expliquer cette différence. « Le Pyrévert est un produit dont la rémanence est faible, il est probable qu’il ne soit pas suffisamment efficace dans la durée pour détruire toutes les larves. »
Lors de ses comptages réalisés dans l’Aude, il est arrivé plusieurs fois à Céline Alozy d’observer « une forte diminution de la quantité de larves dans les 24 heures qui suivent l’application de Pyrévert puis, cinq jours plus tard, de constater un retour de la population larvaire à un niveau identique à celui préalable au traitement ». Elle suppose que, dans ces cas, « le traitement n’a pas été assez efficace, ou que les larves ont pu se réfugier dans une parcelle voisine non traitée ou dans les pampres, avant de revenir. D’où l’importance du déploiement collectif de la lutte contre la cicadelle ».
Selon sa collègue, Lysiane Grivel, chargée de mission au sein de la Frédon Occitanie, il est tout aussi primordial de bien épamprer avant de traiter. « Le Pyrévert n’a qu’un effet de choc de deux ou trois heures, rappelle-t-elle. Un épamprage minutieux en amont est donc primordial pour qu’un maximum de larves se trouve dans le feuillage au moment du traitement. Et mieux vaut appliquer le produit en soirée ou la nuit car les UV solaires le détruisent. »
D’après Antoine Verpy, « un vigneron bio qui effectue sérieusement ses trois traitements peut contenir les cicadelles. Mais intervenir au bon moment avec du Pyrévert n’est pas si simple. Le premier traitement obligatoire doit être positionné un mois après l’observation des premières larves. En 2018, ce fut impossible à cause des pluies et en 2022, à cause de la canicule. Les traitements ont été menés cinq jours après la date recommandée et dans certains cas, c’était trop tard. Pulvériser la nuit n’est pas non plus évident, à cause des nuisances sonores et parce que les tracteurs ne sont pas toujours équipés de phares prévus pour le travail nocturne. »
Antoine Verpy en est certain, cette observation d’un nombre de cicadelles plus élevé dans les parcelles conduites en bio n’est pas liée à une efficacité insuffisante du Pyrévert, mais au fait qu’elle nécessite une application du produit dans des conditions très strictes. Conditions qu’il est bien difficile de réunir dans la pratique.
Pendant trois ans, de 2019 à 2021, Audrey Petit, ingénieure en protection du vignoble à l’IFV, a suivi des populations de cicadelles adultes sur un îlot de 9 ha de vignes touchant une friche viticole, à Gaillac, et sur un îlot de 40 ha à Cahors, où les repousses de porte-greffes ensauvagés sont fréquentes. « C’est à cette occasion que nous avons observé cinq à sept fois plus de cicadelles dans les vignes en bio que dans les conventionnelles, explique-t-elle. Mais notre objectif était d’étudier la recolonisation des vignes après les traitements insecticides à partir des friches et des repousses. Lors de ce travail, nous avons constaté que les colonisations depuis les vignes ensauvagées ont lieu moins de quinze jours après la fin des traitements insecticides, et qu’elles sont facilitées par les vents. Elles se produisent également à partir des repousses de porte-greffes. Enfin, nous avons constaté que la forme adulte de S. titanus peut facilement parcourir au moins 230 m ». Cette année, l’IVF compte étudier l’intérêt des haies ou des filets dans la limitation des déplacements du nuisible.