En deux ans, j’ai arraché quasiment la moitié de mon vignoble. C’est dramatique ». Lionel Boutié, vigneron bio sur à Coursan dans l’Aude, est touché de plein fouet par la soudaine explosion de la flavescence dorée sur sa commune. « La flavescence dorée, on en a depuis 20 ans. On arrachait les souches malades et la maladie restait contenue. Mais depuis 4 ans, c’est l’explosion. J’ai un vignoble de 50 ha d’un seul tenant. J’ai dû arracher 12 ha l’an dernier et 10 ha cette année. Essentiellement du sauvignon et du pinot noir. Un désastre. Et je n’ai reçu aucun soutien, ni accompagnement. On me laisse crever comme un chien », dénonce-t-il à peine remis d’une dépression.
Pierre Rodriguez, son voisin n'est pas épargné. Depuis deux ans, ce coopérateur à la cave de l’Espérance, observe une explosion de symptômes sur son vignoble de 30 ha conduit en conventionnel. « J’ai une parcelle de 9 ha d’un seul tenant où j'ai arraché 2000 pieds l'an dernier et entre 5000 et 6000 pieds cette année ; je n'ai même pas compté, explique-t-il. Ça fait mal. Il nous a fallu 15 jours à 3 personnes pour éliminer toutes les souches malades. Cette parcelle d’à peine 10 ans est l’une des plus belles de mon vignoble. D’ici 2-3 ans, elle sera condamnée car d'autres pieds malades vont sans doute apparaître alors que les complantations ne marchent pas car il y a trop de concurrence pour l'eau. Un crève-cœur. J'ai également arraché 300 pieds sur d'autres parcelles. La maladie est partout ».
Jean-Pierre Canguilhem, également coopérateur à la cave de l’Espérance, subit le même fléau. « ça fait 3 à 4 ans qu’on découvre des foyers de flavescence dorée. Mais depuis deux ans, la progression est fulgurante et je dois arracher : pour le moment pas de parcelle entière mais j’ai coupé 2000 à 3000 souches l’an dernier et cette année, c’est l’équivalent de 2 ha que je dois éliminer alors que j'exploite 40 ha. Comme je suis en taille mécanique, les cordons sont enroulés sur le fil de palissage et c’est un travail très fastidieux de les enlever ».
Naïs Marquet, coordinatrice et inspectrice à la FDGDON de l'Aude, confirme l’inquiétante progression de la maladie à Coursan, commune forte de 1200 ha de vigne et de 175 viticulteurs. « Nous surveillons ce secteur depuis des années. L’an dernier, nous avons noté une recrudescence des foyers, qui a conduit à l’arrachage de parcelles entières. Au total 17 ha ont été arrachés chez plusieurs viticulteurs. Et cette année, on trouve des pieds malades dans toutes les parcelles ».
Patrick Pennavaire, viticulteur dans le Limouxin et président de la FDGDON de l’Aude, avance plusieurs explications : peut-être une baisse de la vigilance les années où les foyers étaient peu nombreux, la réduction des traitements insecticides liée au développement de la confusion sexuelle, une plus grande vulnérabilité de la vigne affaiblie par le gel et la sécheresse, la présence de vignes à l'abandon et l'interdiction des insecticides les plus performants. "En 2021, nous avons été fortement touché par le gel. Certains viticulteurs ont fait l'impasse sur les traitements", confie-t-il également.
Pour Jean-François Samper, président du Gdon local (Salles d’Aude, Armissan, Coursan, Fleury), l’heure est à la mobilisation générale. « Il y a certainement eu un manque de vigilance les années où les foyers étaient encore peu nombreux. Certaines souches n’ont sans doute pas été arrachées comme elles auraient dû l’être. Aujourd’hui, c’est un combat collectif que nous devons mener. Jusqu’à l’an dernier, nous n’étions que 5 à 7 viticulteurs à faire les contrôles. Cette année, nous étions 30 à 40. Nous avons appelé les viticulteurs les uns après les autres, coopérateurs comme particuliers, pour les alerter. Et au sein de la coopérative, nous avons créé un collectif de 20 à 30 personnes qui va contrôler que les arrachages obligatoires ont bien été réalisés, y compris des ceps malades au sein des parcelles. Si le boulot n’est pas fait, en 3 ou 4 ans, on perd une parcelle. Et c’est l’ensemble du secteur qui est pénalisé » argumente-t-il.
Concernant les traitements, les viticulteurs s’interrogent. « Nous avons trois traitements obligatoires, mais ça ne suffit pas. Il y a encore des vols de cicadelles à la mi-août. Il faudrait faire au moins 4 interventions, mais la certification HVE ne nous le permet pas », déplore Pierre Rodriguez. « Il faudrait installer deux pièges dans les zones concernées et surveiller les vols afin d'avoir des arguments solides pour réclamer un quatrième traitement », insiste Jean-Pierre Canguilhem.
Au sein de la coopérative, l’idée a été lancée de grouper les traitements dans la zone la plus touchée. "En traitant tous au même moment, sur un ou deux jours, nous avons plus de chance d'éliminer un maximum de cicadelles que lorsqu'on étale les traitements sur 10 jours comme l'arrêté préfectoral l'autorise", soutient Jean-François Samper.
Lionel Boutié, lui, déplore la pauvreté des moyens de lutte : « Tout est fait pour lutter contre la cicadelle, mais c’est au virus qu’il faudrait s’attaquer. Avec des viticulteurs bio d’autres régions françaises, nous testons des préparations à base de plantes qui semblent prometteuses », confie-t-il. Sa réflexion porte également sur le rééquilibrage de son domaine. « Nous allons remodeler notre vignoble avec des haies, des points d’eau pour recréer de la vie. Les parcelles de près de 20 ha d’un seul tenant, ce n’est plus tenable », assure-t-il. Patrick Pennavaire envisage une voie plus classique. "Nous allons demander, à titre exceptionnel une dérogation pour que les bio puissent utiliser des produits conventionnel l’année prochaine à Coursan pour stopper la propagation de la maladie », indique-t-il. Chacun sa méthode, mais le branle-bas de combat est bien lancé à Coursan pour faire tomber la pression de la maladie et assurer la survie du vignoble.