n 2023, la filière des vins et spiritueux français a exporté 174,5 millions de caisses pour 16,2 milliards d’euros de chiffre d’affaires annonce ce mardi 13 février à Paris la Fédération des Exportateurs de Vins et Spiritueux (FEVS). Soit des baisses globales de 10,4 % en volume et 5,9 % en valeur par rapport à l’année record 2022 pour la valorisation (2023 étant la deuxième meilleure année de performance en CA pour la filière). Les vins affichent des expéditions de 122,6 millions de caisses pour 11,3 milliards €, soit des baisses de 9,4 % en volume et 3 % en valeur : la plus basse performance en volume depuis 2009, mais la deuxième performance en valeur après 2022 pour les vins. Les spiritueux atteignent 48,4 millions de caisses pour 4,8 milliards €, soit -5,4 % et -12,1 %. Pas de crash, mais « un atterrissage en douceur » répète en conférence de presse Gabriel Picard, le président de la FEVS pour analyser des performances à la confluence de multiples tendances.


D’abord l’impact de l’inflation mondiale, réduisant la consommation et augmentant les coûts de production. Soulignant le risque pesant sur les marges et les comptes de la filière, le négociant Antoine Leccia (Bourgogne, Languedoc, Provence, Roussillon...) veut voir des opportunités dans les difficultés : « les chais sont pleins dans quasiment toutes les régions. C’est plutôt un point positif, on va pouvoir alimenter les marchés au-delà de ce qui peut se passer sur le millésime 2024 (gel, sécheresse… » et des ventes partent en décembre et janvier, laissant espérer de bonnes performances sur la nouvelle année. « Je pense que 2024 ira mieux, 2023 ayant pâti de problèmes de fret et de hausses des coûts du verre. Les marchés semblent plus stabilisés, même s’il y a des incertitudes » note le négociant bordelais Philippe Castéja, voyant pour les primeurs 2023 des grands crus de Bordeaux l’occasion d’une mise en marché réussie, « tant la viticulture que le négoce souhaitent être au rendez-vous ».
Tout l’enjeu étant que ce sont actuellement les vins les plus chers qui affichent les meilleures performances, quand la base de la pyramide semble plus attaquée, sortant des marchés à cause de l’inflation et/ou des changements de consommation. « Les vins valorisés continuent à bien se vendre » confirme Antoine Leccia, indiquant que les demandes de la production d’aides au stockage privé ou les outils d’arrachages temporaire/définitif sont légitimes « pour passer un cap difficile ». Et de citer l’exemple du Languedoc : « quand on se rend compte que 3 millions d’hectolitres ne sont pas commercialisés sur les 11 millions hl produits, on peut se demander s’il ne faut pas réadapter la production aux capacités d’exportation. » Mais alors que l’on évoque 100 à 150 000 hectares à arracher en France, Antoine Leccia ne souhaite pas une évolution « de façon aussi brutale. Aujourd’hui les efforts [d’aides gouvernementales] portent essentiellement sur l’amont, mais la filière c’est aussi bien l’amont que l’aval [et il faut soutenir] l’ensemble pour prendre des parts de marché. »


Au besoin de restructuration quantitatif s’ajoute celui d’évolutions qualitatives : « il faut bien adapter nos offres et que plus que jamais l’amont et la mise en maché puissent travailler de concert. Cela se fait déjà dans nos filières, parfois bien, parfois c’est perfectible » pose Gabriel Picard, qui évoque des évolutions possibles sur les contenants, les profils de produits… « Pour bien vendre, il faut bien produire » ajoute Gabriel Picard, appelant à la co-construction de modèles gagnants, mieux adaptés à la demande : « amont et aval, nous sommes dans le même bateau ». Un travail commun qui pourrait être amorcé par des discussions facilitées par l’État esquisse le président de la FEVS.
L’exécutif est également appelé à revoir sa vision sur le secteur : « on voit souvent la filière comme marchant bien, mais ce n’est pas immuable : il faut travailler et se mobiliser » prévient Gabriel Picard, qui appelle à une vigilance renforcée de la filière. Et une meilleure appréhension de son poids socioéconomique. En 2023, la filière des vins et spiritueux français arrive à la troisième place des secteurs contributeurs à la balance commerciale française : derrière l’aéronautique (30,8 milliards €, +31,1 %) et désormais derrière les cosmétiques et parfums (16,4 milliards €, +6,5 %). Mais Gabriel Picard souligne que les vins et spiritueux sont à l’origine du « premier excédent agroalimentaire », la balance commerciale des autres produits du secteur agricole tombant à -8,1 milliards €. L’équilibre d’un solde positif à 6,7 milliards € est « mécaniquement et mathématiquement généré grâce aux excédents des vins et spiritueux » souligne le négociant bourguignon. « Je trouverais bien que tout le monde dans notre pays ait à l’esprit ce que représentent nos vin et spiritueux dans l’économie française et pour leurs territoires » déclare Gabriel Picard, qui demande un soutien politique fort pour maintenir l’ouverture des marchés, alors que la tendance mondiale est plutôt au repli. Plaidant pour le libre-échange, mais « pas sans-règles », Gabriel Picard souhait des avancées sur les accords de libre-échange, une vigilance sur les barrières au commerce…
Avec les ¾ des exportations françaises réalisées dans les pays tiers*, les risques de barrières tarifaires et d’obstacles aux commercialisations augmentent actuellement et prennent en otage une filière extérieure à des conflits commerciaux. De l’enquête antidumping chinoise sur Cognac sur fond d’enquête européenne sur les subventions de la Chine pour ses voitures électriques à la suspension temporaire des taxes américaines dites Trump dans le cadre du conflit aéronautique (entre Airbus et Boeing). Les dix premières destinations export des vins et spiritueux concentrant plus de 70 % des affaires du secteur, la filière peut être particulièrement fragile face à des revirements géopolitiques. « En valeur, ce sont les États-Unis qui expliquent principalement la perte de chiffre d’affaires de la filière en 2023 (avec -22,1 % pour 3,6 milliards €) » note Gabriel Picard, soulignant que ce repli s’explique par la comparaison avec des expéditions anticipées en 2022, causant des surstocks sur le marché amenant à la réduction des expéditions. Une réduction temporaire comme l’espèrent les exportateurs : « ce n’est pas la réalité du marché américain, les signaux ne nous disent pas que les États-Unis sont euphoriques, mais pas qu’ils sont en panique ».
* : Dans le top 5 des pays importateurs de vins et spiritueux français en valeur, on ne trouve en Europe que l’Allemagne (à la cinquième position, pour 991 millions € en 2023, -0,8 % par rapport à 2022), derrière Singapour (1,1 milliard €, +18,8 %), la Chine incluant Hong Kong (1,5 milliard €, -5,7 %), la Grande-Bretagne (1,7 milliard €, +0,6 %) et les États-Unis (3,6 milliards €, -22,1 %). Ces cinq zones pèsent pour 55 % de la valeur des vins et spiritueux exportés par la France.