u papier aquarelle, des pinceaux et... du vin : voilà tout ce dont Sabrina Sallouh a besoin pour peindre. Et s'il lui faut parfois trois bouteilles pour achever un tableau, ce n'est pas pour les boire mais pour y tremper ses pinceaux.
Cette artiste lyonnaise est ingénieure de formation. Elle a quitté le milieu informatique il y a quelques années pour animer des formations et séminaires d'entreprise axés sur le développement personnel, en utilisant l'art pour développer la créativité. Mue par l'envie de « détourner un objet du quotidien », elle a d'abord tenté la peinture au café et aux épices. Trop limité en termes de couleurs, pas assez vivant. A contrario, « le vin est particulièrement inspirant pour créer, parce que c'est une matière vivante, et que l'univers qui entoure le vin est passionnant », confie celle qui aime aussi partager de bons flacons.
Pour concentrer les pigments, les vins sont réduits par cuisson. La palette offerte par la combinaison des différents cépages et millésimes est vaste. « Le pinot noir donne du pourpre tirant vers le rose, le gamay jeune est violet, et les assemblages bordelais de merlot/cabernet sauvignon entre trois et six ans d'âge donnent de beaux rouges intenses, illustre l'artiste. Et en laissant une bouteille de rouge ouverte longtemps, j'obtiens du gris. » Toute une gamme de jaunes est obtenue avec des vins blancs, et des roses et oranges avec des vins rosés. Des mélanges de vins récemment testés lui ont même permis d'obtenir des bleus. Elle utilise jusqu'au dépôt des bouteilles, qui apporte une intensité de couleur et une granulométrie intéressante.
Elle qui n'avait jamais peint a mis deux ans – de 2018 à 2020 – pour apprivoiser cette technique. Avant même la création de son site web Sabrina Wine Art, ses posts sur les réseaux sociaux avec les tags #vindefrance et #terroir attirent l'attention de vignerons. Certains voient dans ses peintures un outil de communication. Des projets d'expo dans des domaines voient le jour, annulés par la crise du Covid. Pendant cette crise, pour aider les domaines à gérer de nouveaux modes de vente, Sabrina ressort ses compétences informatiques pour développer des logiciels de gestion. Mais c'est l'art qui l'occupe de plus en plus. Depuis 2020, entre deux expositions à préparer, elle anime des cours de peinture au vin. Elle collabore aussi avec des vignerons pour réaliser des oeuvres à exposer au domaine et à publier sur les réseaux sociaux, ou pour élaborer des étiquettes. « Je travaille avec les vins du domaine, parfois également les lies et le paradis, pour avoir une palette assez riche », relate-t-elle.
Avant de peindre, chaque atelier débute par une dégustation des vins utilisés. D'autant qu'ils sont de qualité. « Au début, pour limiter le budget, j'achetais des premiers prix en supermarché, mais j'ai constaté que la gamme de couleurs était très limitée, témoigne-t-elle. Les faibles durées d'élevage ne laissent pas le temps au raisin d'exprimer ses couleurs. » Désormais, pour ses achats, elle « reste raisonnable sans se fixer de limite budgétaire ». Des cavistes, restaurateurs ou particuliers lui font aussi parfois des dons de bouteilles inaptes à la dégustation. « J'ai vu une vraie différence en travaillant avec des vins nature ou en biodynamie, reprend-elle. Les couleurs sont plus vibrantes et leur évolution plus intéressante. » Car les œuvres évoluent avec le temps.
Au fil des jours, semaines et mois, les couleurs tirent vers l'orange, le beige, l'ocre... L'artiste a d'abord lutté contre le temps en utilisant des bombes fixatrices de couleurs et en plaçant les œuvres sous verre. Jusqu'à ce qu'elle néglige de « fixer » le tableau d'un bouquet de roses, dont la couleur a progressivement bruni. « En voyant la peinture faner tel un vrai bouquet, j'ai réalisé que le vin était une matière vivante, comme les fleurs, raconte-t-elle. J'en fais des tirages qui garderont des couleurs stables, mais je laisse vivre l'œuvre originale. » Elle se sert de ce phénomène pour interroger le rapport au temps, qui sera au centre d'une prochaine exposition associant un tirage aux couleurs vives et l'original qui a vieilli. Elle ose un parallèle : « Quand on ouvre une bouteille, on ne fixe pas le vin : on profite juste de l'instant présent en espérant renouveler l'expérience avec une autre bouteille ! »