lors que l’arrachage semble devenir inévitable dans de nombreux vignobles français et que la limite européenne de 1 % de croissance annuelle des surfaces du vignoble national revient dans le débat, les possibilités de plantations nouvelles de vignes vont chuter en appellation pour l’an prochain. Le contingent AOC s’élèverait à 2 000 hectares de vignes en 2024, quand il était de 5 400 ha en 2023. En chute de 60 %, « il s’agit d’une baisse très significative des surfaces totales demandées en limitation » résume Christian Paly, le président du comité national des vins AOC de l’Institut National de l’Origine et de la Qualité (INAO). Réunis ce jeudi 30 novembre, les représentants du vignoble AOC ont enregistré le net recul des demandes de contingent portées par Cognac (réduisant en un an sa demande de 3 129 à 100 ha de plafond face au repli des marchés américains et asiatiques, après avoir planté 14 500 hectares de nouvelles surfaces ces sept dernières années) et les Côtes-du-Rhône (passant de 150 à 15 ha).
« On n’est pas au 1 % de croissance, on est à 0,4 % » note Christian Paly, qui évoque le renvoi de trois dossiers en région faute d’avis favorable de toutes les instances consultées (interprofession, comité régional INAO et comité de bassin). Doivent être de nouveau discutées entre vignoble et négoce les limitations de plantations nouvelles pour les appellations bourguignonnes Bourgogne et Mâcon, ainsi que l’AOC rhodanienne Luberon. « Notre politique est de laisser une autre chance à des discussions et un possible accord entre metteurs en marché et Organismes de Défense et de Gestion (ODG) » explique Christian Paly.


Une volonté de (ré)conciliation purement bureaucratique pour Thiébault Huber, le président de la Confédération des Appellations et des Vignerons de Bourgogne (CAVB), qui ne cache pas son agacement : « la production veut contingenter, le négoce veut libéraliser et ouvrir les vannes. L’INAO n’est pas le lieu pour discuter du contrôle de la production par le négoce. 70 % des mises en marché de Bourgogne sont réalisées par des vignerons, pas par les négociants… » Et le vigneron de Meursault d’annoncer que les demandes viticoles de limitation des plantations nouvelles à 80 ha en AOC Bourgogne et 30 ha en AOC Mâcon seront validées au final, « comme l’an passé », aval du négoce ou pas.
Validées au conseil de bassin grâce aux votes de la préfecture, ses demandes n’ont pas été validées par le comité régional de l’INAO où l’administration s’est abstenue face au désaccord entre production et négoce. Ne souhaitant pas chiffres les « différences minimes » sur les propositions de plantations nouvelles, Pierre Gernelle, le directeur de la Fédération des Négociants Éleveurs de Grande Bourgogne (FNEB), joue l’apaisement : « le négoce ne veut pas ouvrir les vannes, mais avoir une logique de pilotage économique. Souvenons-nous des tensions sur les prix après la petite récolte 2021. » Indiquant ne pas comprendre l’émotion et les tensions entourant ces deux demandes de limitation sur les neuf exprimées en Bourgogne, le directeur du négoce bourguignon mise sur la pédagogie pour faire bouger les lignes : « on parle de surfaces, mais l’important c’est le volume. De 2018 à 2022, il y a eu +1 000 ha en Bourgogne, mais la production n’a pas augmenté, du fait des aléas climatiques et du dépérissement. »
Fin de non-recevoir pour Thiébault Huber : « nous sommes toujours prudents dans le vignoble. La Bourgogne ne s’en sort pas trop mal, ce n’est surtout pas le moment de dire à des vignerons de planter pour 50 ans alors que l’on sent que les choses commencent à se tasser. Si l’on demandait zéro croissance, je comprendrais. Avec 32 000 ha, la Bourogne plante 200 ha par an : ça bouge ! » Ne craignant pas la polémique (« j’en ai marre »), Thiébault Huber tranche : « ce renvoi du dossier est une ineptie du mode d’analyse de l’INAO, qui donne un poids démesuré à un avis purement consultatif, qui n’est fondé sur aucune donnée économique. » Pour le président du CAVB, cette procédure « prend une importance de dingue. On perd du temps et de l’énergie. C’est ridicule. L’INAO est un mammouth à faire bouger sur ses modes de consultation. »


Sans trop de difficultés, la situation semble plus apaisée dans le Luberon. « Nous allons retourner vers le négoce rhodanien pour avoir un accord » annonce Joël Bouscarle, le président des vins AOP Luberon (dont la production de vin est composée pour moitié de rosé, pour un quart de rouge et autant de blanc). « Comme président d’AOC, je milite pour la liberté de planter, mais nous [NDLA : le conseil d’administration de l’ODG] souhaitons mettre un contingent des plantations nouvelles pour la première année. Pas pour interdire les plantations, mais accompagner le développement tout en restant dans des critères de croissance compatibles pour l’AOC » explique le vigneron de Saignon, qui a demandé une limitation à 10 ha des plantations 2024, l’appellation s’accroissant normalement de 30 à 40 ha par an (pour une surface totale de 3 300 ha).
N'ayant pas trouvé d’accord avec le négoce, le vignoble n’a pu obtenir de décision de l’interprofession (le comité régional INAO et le conseil de bassin ont validé la demande). Souhaitant réexpliquer aux négociants ce souhait de réduction de la croissance en surface, Joël Bouscarle pointe que ce contingent est lié à un contexte de marché : « il faut maîtriser ce qui se plante pour ne pas envoyer des vignerons dans le mur quand les vignes entreront en production. Mettre un cadre permet de laisser de la respiration. » Réduisant depuis trois millésimes le rendement de vins rosés et rouges, le président de l’AOC rhodanienne veut « installer le Luberon dans un environnement sain, pour la production et aussi pour le négoce ». Soit moins planter pour ne pas se planter.