ncore dans tous les esprits, la manifestation de ce samedi 25 novembre à Narbonne (Aude) a réuni 6 000 vignerons unis dans leurs revendications par un calme exemplaire salue Arnaud Rousseau, le président Fédération Nationale des Syndicats d'Exploitants Agricoles (FNSEA), en conférence presse ce 28 novembre à l’occasion de l’ouverture du salon Sitevi (Montpellier). « Ce mouvement vigneron n’est pas une résignation » prévient le céréalier de Trocy-en-Multien (Seine-et-Marne). Soulignant le « niveau de maîtrise et de dignité des viticulteurs présents », le président du syndicat agricole majoritaire maintient la pression sur les pouvoirs publics en général, et le ministre de l’Agriculture Marc Fesneau en particulier, pour ne pas laisser prospérer un esprit de désespérance : « comme ça s’est bien passé, il ne faudrait pas se dire que ce n’est pas un problème : la responsabilité de trouver une solution est renvoyée aux pouvoirs publics et doit rapidement trouver un écho. »
« Le moment est particulièrement tendu pour le secteur viticole » appuie Jérôme Despey, le vice-président de la Fédération Départementale des Syndicats d'Exploitants Agricoles de l’Hérault (FDSEA 34). Listant la succession d’aléas qui frappe la filière vin depuis 2019*, le premier vice-président de la FNSEA met en regard les dispositifs d’accompagnement mis en place : la distillation de crise en cours, les aides départementales sur les exonérations sociales et le foncier non-bâti… Et constate que le compte n’y est pas encore : « on arrive à un moment charnière où l’on doit passer du conjoncturel au structurel ». Si de nombreuses demandes sont exprimées dans le vignoble du Midi (mise en place d’une préretraite, création d’une aide aval pour la sécheresse, lancement d’une aide aux stockage…), la priorité est mise sur deux outils : le soutien conjoncturel aux trésoreries par l’année blanche bancaire (sur 2024) et la restructuration de la production française par l’arrachage temporaire des vignes en manque de marché (pour éviter des friches). Deux demandes que la filière veut voir aboutir lors d’une rencontre prévue ce 29 novembre avec Marc Fesneau à Montpellier.


Pour l’année blanche, la filière demande que les annuités bancaires 2024 soient reconsolidées avec de nouveaux emprunts (sur 6 à 8 ans), avec la prise en charge de tout à partie des intérêts intercalaires par l’État et les collectivités territoriales. Se chiffrant actuellement en dizaines de millions d’euros, ce mécanisme s’ajouterait au fonds d’urgence de 20 millions d’euros pour les vignobles touchés par les aléas climatiques du millésime 2023, dont l’enveloppe doit être élargie pour répondre à tous les besoins qui seront exprimés demande Jérôme Despey. En termes de trésorerie, le viticulteur de Saint-Geniès-des-Mourgues (Hérault) en profite pour faire passer un message au marché du vin en vrac : « nous avons obtenu une distillation à un prix permettant d’éviter que le marché ne se casse la figure. Dans un marché actuellement atone, où les prix sont flat, j’appelle les metteurs en marché et la grande distribution à ne pas baisser le prix de l’hecto pour les exploitations cherchant de la trésorerie. »
Demande structurelle, l’arrachage temporaire permettrait de regagner des parts de marché en évitant l’abandon de vignes sans débouchés valorisés, tout en préparant la réorientation du vignoble vers des produits et profils d’avenir. Le sujet doit être discuté lors du comité mixte des filières viticoles de France, d’Espagne et d’Italie lundi 4 et mardi 5 décembre prochains : « de plus en plus de pays rejoignent la filière France pour avoir des outils d’adaptation » note Jérôme Despey, qui « attend que le ministre soit allant pour que dès la campagne 2024-2025 nous ayons de la restructuration différée. »
Une demande qui s’accompagne de réflexions sur la croissance annuelle de 1 % du vignoble français prévient Jérôme Despey. Le président du conseil spécialisé vin de FranceAgriMer annonce la couleur : « on ne peut pas demander un outil d’arrachage temporaire pour rééquilibrer nos marchés si l’on ne baisse pas ces droits nouveaux. Le sujet est à l’ordre du jour. Il est hors question de priver ceux pour qui ça marche, mais d’encadrer pour de nombreux autres vignobles. » Alors que la filière vin travaille à son nouveau plan stratégique, des réflexions stratégiques doivent être menées en parallèle esquisse Jérôme Despey, évoquant les sujets d’étanchéité entre segments, de développement de l’entrée de gamme… « La filière a aussi sa part de responsabilité dans la crise. »


Mais l’essentiel de la pression est désormais sur l’exécutif, dont les oreilles ont dû siffler lors de la conférence de presse de la FNSEA et des Jeunes Agriculteurs (JA). Dénonçant un « manque de vision », Arnaud Gaillot, le président des Jeunes Agriculteurs, regrette des paroles qui ne sont pas suivies d’actes : « on dit que la souveraineté alimentaire est une grande cause nationale [mais] on n’est pas loin de croire que c’est seulement de l’affichage politique** ». Pour l’éleveur laitier à Bouclans (Doubs), en France « a-t-on problème avec notre agriculture ? » Car « dans un pays fier comme le notre de nos traditions gastronomiques, comment se fait-il que l’on soit le seul pays d’Europe qui n’ait pas célébré la journée mondiale du vin ? » (lancée ce 8 novembre à l’initiative de Wine In Moderation, avec des évènements en Espagne, Italie, Portugal…). Et le jeune agriculteur de prévenir : « s’il n’y a pas de réponses, on ne pourra pas tenir nos gars très longtemps ! »
Il y a besoin de réponses partout relève Arnaud Rousseau, qui dénonce une pression normative frappant toute l’agriculture, et se trouvant au cœur des actions « on marche sur la tête ». Rencontrant le ministre de l’Agriculture ce jeudi 30 novembre à Paris, le président de la FNSEA attend ainsi des réponses budgétaires (notamment pour une moindre hausse de la Redevance pour Pollution Diffuse, RPD) et techniques (comme pour le plan Ecophyto 2030, dont « l’objectif est fixé sans être clair sur les alternatives… C’est une fuite en avant, personne ne semble se poser la question de l’échec d’Ecophyto 1 et 2, il faut en tirer des constats ! »).
* : Jérôme Despey cite les mesures de rétorsion américaine des taxes Trump (levées jusqu’à 2025 s’il n’y a pas d’accord transatlantique), la crise covid (mettant sous cloche de nombreux marchés), les aléas climatiques croissants (gel, sécheresse, mildiou…) et les conséquences de la guerre en Ukraine (inflation des charges et baisse du pouvoir d’achat…).
** : Arnaud Gaillot semble particulièrement remonté par le projet de loi d’avenir et d’orientation agricole : « depuis les conclusions sur le pacte d’orientation en juillet, il ne se passe pas grand-chose. Cette négligence du président et de la première ministre est très regrettable. Si la loi sur l’installation et la transition ne voit pas le jour à l’Assemblée Nationale avant le salon de l’Agriculture [NDLA : 24 février au 3 mars 2024], il sera compliqué pour le président de venir. C’est un manque de respect après un an et demi de travail en région. »