ace à la crise actuelle, l’une des propositions fortes des Vignerons Coopérateurs est de créer une restructuration différée.
Joël Boueilh : La coopération porte l’arrachage temporaire depuis longtemps, et ça convainc de plus en plus dans la filière. Nous demandons une forme d’aide à la restructuration scindée en deux phases : d’une part l’aide à l’arrachage de la vigne, payée au moment de l’arrachage, et ensuite l’Indemnité de Perte de Récolte (IPR) pendant trois ans (contre deux actuellement). Au lieu de se limiter aux 4 à 5 ans de la restructuration, ce serait un arrachage temporaire durant 7 à 8 ans. Que ça laisse le temps, avec l’intérêt agronomique du repos des parcelles et la modification de l’encépagement pour adapter le vignoble à sa capacité de commercialisation. Comme on voit arriver des gens en bout de course, qui ne veulent pas arracher pour replanter, nous demandons qu’il y ait la possibilité de ne pas replanter après l’aide à l’arrachage. Tout l’enjeu est de pouvoir scinder les deux parties d’arrachage et de replantation. Le ministre de l’Agriculture, Marc Fesneau, doit faire en sorte que les planètes s’alignent pour que le dispositif soit opérationnel en 2024. C’est en mode accéléré. Le ministre doit entendre et mesurer l’urgence de la situation et le besoin de recalibrer notre vignoble au potentiel de commercialisation.
L’enjeu est de préserver le potentiel de production. On voit des AOC faisant le choix de baisser les rendements à l’hectare pour calquer le potentiel de production sur celui de commercialisation. Ça peut être très pénalisant pour les producteurs qui réussissent commercialement. Mieux vaut moins d’hectares de vignes produisant à plein que l’inverse. À la coopération, nous ne pensons pas que ce soit la bonne méthode. Ce n’est pas celle qui arme le mieux les entreprises pour aller sur les marchés. Même si l’on réduit la production, celles qui sont à côté du marché le restent. L’intérêt de la structuration différée est de calibrer.
Avec un arrachage temporaire permettant de ne plus perdre d’argent sur les vignes rouges sans débouchés, n’y a-t-il pas un risque de bascule trop forte vers les productions qui marchent, les vins blancs et les bulles, ce qui casserait leurs dynamiques ?
Il ne faut pas faire un grand coup de balancier. On parle de quelques pourcents de déconsommation : il ne faut pas tourner le dos à ce que l’on a toujours fait, mais appréhender les tendances de consommation pour les mettre en perspective. Ce qui sort du frigo a le vent en poupe. Peut-être arrivera-t-on à développer des vins rouges frais qui marchent. Il y aura des perspectives pour les entreprises se mettant en danger, il y a toujours un risque quand on sort des sentiers battus. Dans l’innovation, les choses ne marchent pas toujours…
Vous qui êtes gascon et avez connu une succession de petites récoltes, les tensions actuelles sur les vins blancs ne sont-elles pas surtout dues au manque récolte plus qu’à un développement de la demande ?
Il y a une légère progression de la consommation de vins blancs, amenant à une forme de déséquilibre. Si la série de petites récoltes réduit les stocks, pourtant il n’y a pas de tension sur les prix en 2023. Ça ne s’envole pas. La tendance est générale, les consommateurs font des choix pour leur pouvoir d’achat.
Aurez-vous d’autres demandes à porter auprès du ministre de l’Agriculture, Marc Fesneau, lors de son passage sur le salon Sitevi ce 30 novembre ?
Je l’interpellerai sur les sujets de la reconnaissance des caves coopératives comme Organisations de Producteurs (OP). Ce serait pour les caves coopératives un outil supplémentaire pour agglomérer les forces vives et permettre d’aller à l’export. Les OP sont un outil de massification de l’offre. Il y a également le sujet des agriculteurs actifs. Pour bénéficier des aides à la restructuration des vignobles, il faut aujourd’hui être reconnu agriculteur actif. Les caves coopératives ne peuvent en bénéficier. Ce n’est pas équitable, il y a un blocage français dans l’application de la nouvelle Politique Agricole Commune (PAC). Ce sont deux sujets qui ne coûtent rien et structurent le vignoble. Il ne manque que de la volonté politique.
* : La coopération porte les autres mesures d’aides demandées par la filière. Notamment le soutien des trésoreries pour 2024 avec une année blanche bancaire, une aide au portage des stocks pour faire face au choc de déconsommation, une aide au stockage privé comme lors de la crise covid, un accompagnement de l’aval pour pertes de potentiel de production comme pour le gel 2021…