our ceux qui prévoyaient une fréquentation en berne pour la World Bulk Wine Exhibition, à l’image du marché mondial, le salon leur aura donné tort. Non seulement le nombre d’exposants cette année était en hausse de 15% pour atteindre 250 entreprises en provenance de 26 pays, mais le visitorat s’est maintenu autour de 6 000 participants issus de 58 nations, avec un retour remarqué des Asiatiques. « La consommation a beau être en baisse, le salon est bondé. C’est un très bon événement », estimait Eneas Riquelme, directeur vrac et export auprès du regroupement argentin Fecovita, qui rassemble 29 caves coopératives. « On vient à la Bulk pour maintenir les relations », rappelait Gael Picard, responsable régional export auprès du groupement espagnol Anecoop, qui a vu sa récolte de muscat chuter de 50%. « Qui sait ce qui va se passer l’année prochaine ? Et puis, le salon marque un peu le début de la campagne, il permet de prendre la température ».
C’est un marché qui souffle le chaud et le froid cette année : alors que la production 2023 a atteint un niveau historiquement bas, certains vignobles ont laissé des raisins sur pied et bon nombre de cuves, notamment de vins rouges, sont pleines. Dans le même temps, de nombreux producteurs se retrouvent avec des disponibilités insuffisantes pour répondre à leurs marchés habituels. C’est le cas de la coopérative sicilienne Cantine Europa : « Nous avons perdu 40% de notre récolte. Nos cuves sont vides et nous n’arriverons probablement pas au mois d’août », déplorait Baldo Buffa, son directeur commercial. Même son de cloche en Espagne : « Nous allons gratter les fonds de tiroir cette année », reconnaissait Nicholas Hammeken, fondateur de la société éponyme. « Nous allons pouvoir livrer nos clients actuels mais dès la fin du troisième trimestre nous n’aurons plus de vins blancs ou de rosés avant la prochaine récolte ». C’est tout le paradoxe de la campagne actuelle, et qui en dit long sur les difficultés rencontrées sur le marché mondial. « La Chine est décevante, l’Inde est encore loin, les perspectives aux Etats-Unis ne sont guère réjouissantes et il y peu de potentiel de croissance en Europe », résumait Rafael del Rey, directeur de l’Observatoire espagnol du marché du vin.


La normalisation de la chaîne logistique internationale confirme le ralentissement important constaté par tous : « Il n’y a aucun problème majeur de conteneurs dans les ports actuellement et les délais de transport ont retrouvé un niveau de fiabilité quasi-normal », confirmait Horst Mueller, responsable mondial de VinLog, la branche spécialisée dans les boissons au sein du transporteur Kuehne + Nagel. C’est dire les doutes qui pèsent actuellement sur la consommation à travers le monde, ressentis par tous. « Notre principale préoccupation à l’heure actuelle concerne la consommation », confirmait Johan Lotz, œnologue auprès d’uniWines, entreprise sud-africaine qui élabore quelque 50 millions de litres de vin par an. « Il n’y a aucun doute que les consommateurs se détournent du vin ». Un avis partagé très largement, et qui porte notamment sur les jeunes générations. « Personne n’informe les jeunes des aspects bénéfiques de la consommation de vin dans le cadre d’une bonne vie saine », déplore James Carter, directeur du développement auprès du géant américain Bronco, créateur du fameux « Two Buck Chuck ». « Il nous faut un nouveau French Paradox, et un Robert Mondavi ! »
Mais au-delà de la vague prohibitionniste qui déferle indéniablement à travers le monde, et qui s’exprime à travers des augmentations fiscales, contraintes réglementaires et autres interdictions, la filière vrac a des cartes immenses à jouer à l’heure actuelle, dans un contexte de changement climatique et de pression à décarboner le secteur. « Nous vivons un changement de paradigme et nous devons réfléchir de façon radicalement différente à la manière dont nous transportons le vin », a martelé Barry Dick MW, responsable sourcing mondial auprès de l’enseigne britannique de grande distribution Waitrose. « Le vrac a changé de manière radicale au cours des vingt dernières années. Les préjugés l’entourant se sont dissipés et son développement est désormais impulsé par la consolidation en amont de la filière et la décarbonisation ».
Pour preuve, des opérateurs dont l’image qualitative n’est plus à prouver, dont Waitrose, sont en train d’évoluer en faveur du vrac : « Nous avons l’intention de passer d’une part minime de nos achats en vrac à 40% au cours des années à venir », précisait Simon Mason, directeur du développement durable au sein de la prestigieuse Wine Society en Grande-Bretagne, qui a lancé cette année des bouteilles plates en PET recyclé ainsi que des bag-in-box. « Jusqu’à présent, les opérateurs ont surtout envisagé le vrac sur des routes maritimes à longue distance, mais nous évoluons sans doute vers davantage de vrac en Europe ». Un avis partagé, en toute logique, par Éric Lanxade, directeur opérationnel du négoce SudVin à Béziers, qui présentait entre autres sur le salon, son « mini-keg » de vin pour illustrer les multiples applications du vrac : « Le transport pas cher est terminé, et tant mieux, mais nous allons désormais payer le vrai prix, ce qui donne une véritable impulsion au vrac ».
Mais ce serait réducteur de considérer le vrac comme uniquement un moyen de réaliser des gains financiers, souvent au profit de l’aval de la filière, même s’ils sont importants. La montée en puissance des conditionnements alternatifs, qui sont autant de sésames à de nouvelles occasions de consommation et cibles de consommateurs ; la souplesse et l’agilité offertes pour répondre rapidement à une demande très évolutive ; et une opportunité pour les opérateurs en amont de collaborer ensemble, à l’instar du projet « Bulk by Languedoc Team » lancé à l’occasion du salon, sont autant d’axes de développement de la filière vrac qui peuvent profiter à tous. Et Eric Lanxade de lancer : « Le jeu de cartes est tombé par terre, il faut ramasser les cartes différemment… »