Éric Lanxade : Le vin en vrac n’est pas le problème. Il est la solution pour séduire de nouveaux consommateurs hédoniques en recherche de nouvelles expériences. Sortons le vin en vrac des chais pour le rapprocher des lieux de consommation. Un partage de marge entre tous les intervenants, de la vigne au verre est alors possible, sans gaspiller d’emballages et créer des déchets. La notion de Responsabilité Sociale des Entreprises (RSE) est désormais pleinement intégrée, les acheteurs des Monopoles (Québec, Scandinavie…) orientent leurs sélections en fonction de l’empreinte carbone et de l’impact environnemental de la production et de la chaine logistique. Le vin en vrac est une réponse efficiente. Ne craignons pas de constater que le lieu et l’ambiance où se déguste un vin sont aussi importants que le terroir et le climat où il est produit. Le consommateur est aussi important que le vigneron ou l’œnologue. Nous proposons, le consommateur dispose.
Certes le segment des vins premiums a l’air de moins souffrir de la déconsommation mondiale avérée, mais force est de constater que notre filière doit se réinventer, s’adapter. Il faut clairement identifier les enjeux communs et les plus-values différenciantes des marchés du vin en bouteilles d’un côté et du vin en vrac de l’autre. Il ne faut plus dissocier ces deux branches de la filière vin, mais il faut enfin assumer de les réunir. Car dans la réalité, elles ne sont pas opposables, mais bien complémentaires, et par essence indissociables. Il faut impérativement remettre le vin au cœur des projets , le rendre vin accessible, compréhensible et rééquilibrer les conditions du marché entre le vigneron, le vracqueur, l’embouteilleur, le distributeur et le consommateur. La premiumisation n’est pas seulement l'acte de vendre des qualités supérieures. Pour le métier de négociant vracqueur, la premiumisation se fait sur le service avant tout. Et c’est là notre raison d’être chez Sudvin.
De nos jours, le négociant vraqueur n’est plus relégué au simple rang du vendeur de vrac au débord, il a l’obligation d’offrir un service avec sa capacité de proposer un produit standard au bon prix, d’une qualité constante et égale du début du marché à la fin, traçable, bas carbone, idéalement et au minimum certifié Haute Valeur Environnementale (HVE), vegan … Et répondant à tous les critères des cahiers des charges des clients. Mais aussi s’adaptant en permanence à tous les changements de volumes des contrats et commandes de son client au gré des opérations commerciales. Sans oublier sa capacité à acheter, financer, stocker, stabiliser, assembler et livrer les vins dans des conditions irréprochables, en suivant des protocoles qui sécurisent le client et le consommateur final (certification IFS, BRC, ISO, politique RSE…).
En termes de RSE, l’enjeu pour la production de vin en vrac semble aujourd’hui être le partage de la valeur. Comment assurer une juste rémunération aux viticulteurs ?
Un joli verre de 15 cl de vin à 5 € TTC au restaurant, c’est 2 600 €/hl ! Le partage de la valeur entre tous les intervenants est indispensable, c’est même la clé et la matrice de la RSE. Après les décennies viticulture, œnologie, puis marketing, ce sont les modes de consommations nomades et évènementielles qui permettrons de proposer d’accéder aux nouveaux consommateurs et de mettre nos produits en avant face à la bière notamment. Je crois beaucoup à la distribution au « wine on tap », au Winetank, aux canettes, à tous les conditionnements alternatifs… Le commerce du vin en vrac de qualité permet cette agilité.
J'insiste, mais nous misons avant tout sur la premiumisation des services. Notre raison d’être en tant que négociant vracqueur est de proposer des standards élevés en terme de certification (IFS, BRC,…), de respect des cahiers des charges exigeants, de régularité de livraison, de connaissance des procédures douanières les plus complexes, de supply chain, d’ingénierie financière… À l’atomisation de l’offre de vins en vrac actuelle, nous préférons nous différentier par cette offre de services, cela a un prix, que nous devons défendre. Avec le développement du conditionnement du vin au plus proche du lieu de mise en marché, le vracqueur devient un vrai chef de projet et participe dorénavant à toutes les étapes marketing avec son client (habillage, communication, profil, logistique appro…). Le vracqueur devient le référent du client.
Pour assurer un débouché commercial à un lot de vin en vrac, faut-il passer par la généralisation de la contractualisation et de cahiers des charges fixant les exigences et profils des vins recherché par le commerce ?
Le commerce, c’est la confiance. Force est de constater qu’il convient de la réinstaurer aujourd’hui en redéfinissant des règles qui protègent nos producteurs. Dans ma carrière, j’ai vu passer beaucoup de tentatives de contractualisation qui ont échoué dès lors que l’on aborde le corridor de prix et les exceptions pour déroger (aléas climatiques, taux de change…). Je suis convaincu que la contractualisation doit se faire à trois : production, négoce et distribution. Convenir de zones d’accord et fiabiliser les rotations.
Vous allez participer au salon World Bulk Wine Exhibition d’Amsterdam (lundi 20-mardi 21 novembre), par rapport aux salons de prestige du vin en bouteille, quelle vision esthétique du vin défend-on chez les vracqueurs, actuellement mis en cause dans la crise des vins de l’Aude ?
Malmené, vilipendé, accusé de tous les maux, le vrac est pourtant l’état le plus universel et originel du vin. Tous les vins, dits « petits » ou « grands », bio, nature, conventionnels... passent par l’état de vrac à un moment de leur existence et dès leur naissance. Le vin conditionné ne vit quasiment plus, il vieilli. Toutes les qualités d’un vin se révèlent, ou pas, dans sa période en vrac, son éducation . C’est un vin nu. Sans maquillage marketing, sans les habits d’un flacon pour cacher les formes disgracieuses.
Comme une statue grecque antique, cette nudité doit être esthétique pour séduire. Le vin en vrac exprime sa beauté dans la sincérité de ses différentes formes, qu’elle soit opulente, généreuse, équilibrée, brute... Le vin peut être sec, fin, maigre, fort, soyeux, tendre, généreux, bodybuildé… Sa condition de vrac lui permet d’exprimer précisément ses qualités sans cacher ses faiblesses.
À nous de créer une communauté pour relayer ces messages positifs sur nos métiers passionnants.