e constat est sombre : selon le Cniv, la consommation de vin en France devrait baisser de 20 % d’ici 2035. Comment enrayer alors cette chute qui frappe de plein fouet notre secteur ? Stéphane Poisson, brand ambassador des propriétés Famille Helfrich, propriété des Grands Chais de France, donne quelques recettes. « Outre des produits de qualité, il faut casser les codes élitistes », indique-t-il. Et de citer « B de Bastor », un blanc sec créé à la suite du rachat de Château Bastor-Lamontagne, à Sauternes, en 2018, ou encore « SO Sauternes », un vin du même château marqué par le fruit, proposé en cocktail avec 2/3 de SO, 1/3 de crémant de Bordeaux, trois glaçons, trois feuilles de coriandre et un quartier de citron vert. Le succès est-il au rendez-vous ? « Les ventes augmentent », répond laconiquement Stéphane Poisson.
En Alsace, Grands Chais de France a concocté le crémant « Klipfel brut nature », un assemblage de trois cépages – 4 ans de vieillissement sur latte –, qui fait un tabac. Autre piste, le sans alcool. À Landiras, en Gironde, le groupe s’est équipé d’une unité de désalcoolisation. Pour quels résultats ? Stéphane Poisson reste discret. Il n’est pas le seul.
Chez Boisset, Jean-François Curie, le directeur général, estime qu’il « faut rendre le vin moins intimidant ». Pèle mêle, il rappelle l’implication de son groupe dans les effervescents, les vins nature, les no-low, les vins aromatisés qui plaisent aux jeunes, comme Cap Saint-Roc, un rosé pamplemousse dans une bouteille un peu cintrée qui rappelle celles utilisées en Provence. En termes de packaging, il répète qu’il faut sortir des codes traditionnels, aller vers des formats plus petits, type canette ou pouch up. Mais motus sur ses nouveaux projets pour freiner la chute de la consommation. Et aucun chiffre sur les cuvées qui marchent ou pas.
Sous anonymat, cet autre responsable marketing d’un acteur majeur du secteur l’avoue : « Nous menons des actions pour gagner des consommateurs. Mais de là à les mettre sur la place publique, c’est une autre affaire. Il n’est pas question de donner du grain à moudre à nos concurrents. »
Seule évidence : les vins faciles d’accès restent le sésame pour tenter d’amortir la chute. Renaud Guerre-Genton, chef de groupe vins chez Système U, en est convaincu : « Il faut attirer les jeunes avec des vins portés sur le fruit, des étiquettes qui sortent du classicisme et des prix abordables, par exemple avec les vins de France. Nombre de viticulteurs produisent ce type de vins sur le fruit et croquants, qui correspondent à ce qu’attend le consommateur et qui sortent du classicisme. »
Pierre-Jean Larraqué, à la tête du groupe Larraqué Vins International (LVI), implanté à Saint-André-de-Cubzac, en Gironde, ne se fait pas prier pour dérouler ses recettes. Elles tiennent en quatre mots : la qualité, la marque, le collectif et la communication. « Ne pas transiger sur la qualité des vins, c’est primordial », déclare-t-il. Au passage, il fustige ces traders qui achètent et revendent des bordeaux à bas prix car ils abîment l’image de l’appellation. Pour s’assurer volumes, prix et qualité, LVI s’est engagé dès 2018, dans des contrats de filière. À ce jour, ils concernent 1 200 vignerons et 2 200 ha à Bordeaux, dans le Languedoc, en vallée du Rhône et en Provence.
Deuxième ingrédient : les marques. Pierre-Jean Larraqué cite Haussmann Baron Eugène, Cuvée Hortense et Cabane du Pyla. Avec 755 000 cols qui partent en GMS et à l’export, les ventes de la première sont stables. Mieux orientées, Cuvée Hortense et Cabane du Pyla progressent nettement. Ainsi, Cabane du Pyla, une IGP Atlantique créée en 2012 en rosé et blanc remporte un franc succès avec des ventes qui s’élèvent à 580 000 cols, en hausse de 46 % par rapport à 2022.
Troisième volet : jouer groupé. En juillet 2020, Pierre-Jean Larraqué a lancé l’Alliance des récoltants, une association de vignerons pour aborder les grandes surfaces avec une offre complète de vins de Bordeaux. Aujourd’hui, elle réunit 62 châteaux qui couvrent vingt AOC de Bordeaux et deux de Bergerac. 2,25 millions de cols vendus cette année, soit 18 % de hausse en un an.
Quatrième pilier : la communication, avec « un budget colossal », lâche Pierre-Jean Larraqué. « Le plan média 2023 va nous permettre de générer 248 millions de contacts », précise Grégoire Delangre-Haussmann, responsable de la communication.
À Saint-Mont, dans le Gers, Olivier Bourdet-Pees, directeur général de Plaimont, veut voir le bon côté des choses. « C’est une période passionnante car le vin s’ouvre à une palette de possibilités. De nouveaux espaces de consommation hors repas apparaissent. Il faut s’y adapter avec des vins différents, frais, pas trop riches en alcool », indique-t-il.
En 2020, ce groupe coopératif a lancé un IGP Côtes de Gascogne blanc et un rosé à 9° d’alcool sous la marque Elia : bouteille bourguignonne, contre-étiquette qui mentionne le niveau de calories, 800 000 cols distribués cette année, aux deux tiers à l’export et le reste en grande distribution en France. Leclerc a classé Elia dans les Vins de demain, dans son catalogue de la foire aux vins d’automne 2023. Autre nouveauté cette année : une cuvée de tardif, un cépage oublié qui a donné un vin rouge à 13° avec peu de couleur, très aromatique, gourmand et croquant. Peut-être un autre succès.