00 ? 500 ? Combien étaient-ils hier soir au sein d’un espace culturel de Ferrals-des-Corbières plein comme un œuf, à se frayer une place comme ils pouvaient dans les escaliers ou les coursives de la salle de spectacles, pour applaudir l’appel à manifestation vigneronne lancé par le président du syndicat des vignerons de l’Aude Frédéric Rouanet ? « Faites savoir à Paris que les honnêtes travailleurs que nous sommes ont décidé de se révolter ! Que la sourde oreille dont fait preuve le gouvernement ne fait qu’amorcer une bombe prête à exploser ! », tonnait même le leader syndical à l’intention des deux officiers du renseignement territorial présents dans la salle. Avant une manifestation inter-départementale d’ampleur promise pour les semaines à venir, c’est par l’annonce d’un premier rendez-vous dès jeudi 19 octobre à 8h, à Narbonne, que Frédéric Rouanet achevait une intervention aussi intense qu’habitée.
Devant un parterre garni d’élus locaux, de représentants de la coopération du Gard, de l’Hérault, des Pyrénées-Orientales et même du Vaucluse ou la Drôme, les présidents des Vignerons coopérateurs d’Occitanie Ludovic Roux, des Vignerons indépendants de l’Aude Alexandre They, et des Jeunes agriculteurs de l’Aude Fabien Mariscal siégeaient à la tribune aux côtés de Frédéric Rouanet. La symbolique du front commun est claire, pour appuyer l’unité des revendications d’une profession « dans une situation grave, et qui ne veut pas accepter l’immobilisme », tance Ludovic Roux.


Successivement, ce dernier et Alexandre They dressent un point de situation économique sans ambiguïté. Malgré les efforts qualitatifs, les aléas climatiques, les adaptations aux contraintes de production, les prix d’achat des vins en vrac sont trop faibles pour atteindre la rentabilité, « et même les sorties de vins en bouteilles ne font que diminuer », déplore Alexandre They. Le rôle des négociants est au cœur des crispations depuis plusieurs semaines. « Le négoce doit tenir compte du désarroi de la production et ajuster ses prix d’achat à la hausse », avertit Ludovic Roux.
Salle plus que comble pour cette réunion de vignerons - SVA
« Comment envisager la simple idée de transmission de nos exploitations à nos enfants dans ces conditions ? », enchaîne Alexandre They. Dans un département audois où la viticulture est, avec le tourisme, au centre de l’activité économique et sociale, Fabien Mariscal déplore la chute libre des installations de jeunes viticulteurs depuis 3 ans. « Cette année, c’est zéro installation ! Il faut un plan Marshall pour sauver la viticulture dans l’Aude. S’il faut mettre le feu au département pour être écouté, nous le ferons, et s’il faut aller à Paris, nous irons ! », tonne le leader des JA audois sous les applaudissements nourris. Le président du syndicat des vignerons de l’Aude enchaîne alors en égrenant la longue liste de mesures conjoncturelles et structurelles déjà adressées par la profession lors des tournées de vendanges des préfets départementaux.
Outre l’arrachage temporaire et la possibilité de sortir dignement pour les vignerons épuisés ou âgés, une aide massive pour le changement climatique, plaçant l’Aude en département test, est réclamée. Mais le prix du vin demeure au centre de toutes les préoccupations. « Tant que nos revendications ne seront pas prises en compte, chacun devra prendre ses responsabilités sur des troubles viticoles à venir », avertit donc Frédéric Rouanet. En appelant à une intervention du gouvernement (lire encadré) et « face à des acheteurs qui pensent pouvoir se gaver sur l’autel de la viticulture », le président du SVA appelle les vignerons à ne pas rester les bras croisés et manifester en nombre, « déterminés, organisés et disciplinés ». Le 1er rassemblement, jeudi 19 octobre, sera intitulé ‘Paix dans le Midi viticole’, « car il n’est pas de la folie pour un homme de faire la guerre pour obtenir la paix », assène Frédéric Rouanet. Alors que certains anciens ayant connu Montredon en 1976 sont assis dans les premiers rangs, des « farem tot petar » (on va tout faire péter, ndlr), ou « il y aura le feu jeudi soir » jaillissent alors de l’assistance. Le décor est planté pour une insurrection viticole régionale qui ne dit pas encore son nom.
Dans un courrier commun, la présidente du département de l’Aude Hélène Sandragné, deux sénateurs de l’Aude, le président de la chambre d’agriculture ainsi que ceux des Vignerons indépendants, des vignerons coopérateurs d’Occitanie et du syndicat des vignerons de l’Aude, invitent la première ministre Elisabeth Borne à se rendre sur leur territoire pour « évoquer les pistes et solutions possibles » d’une filière qui en veut pas « revivre les heures sombres de la viticulture du Midi ».
Enumérant les difficultés croissantes rencontrées par la filière, doublées d’une année culturale marquée par les deux crises majeures (mildiou et sécheresse) qui ont sévi dans un département partagé entre ses climats méditerranéen à l’est et océanique à l’ouest, les auteurs alertent Elisabeth Borne sur « le devenir économique compromis de structures viticoles déjà fragilisées par les épisodes de gel et de grêle des dernières années ». Très alarmiste, cette invitation ajoute que le défi de la filière viticole « n’est plus de surmonter une crise que certains prétendent conjoncturelle, mais tout simplement d’assurer sa survie à court terme ». L’ensemble des signataires se tient à disposition de la première ministre pour présenter l’ensemble de dispositifs qui existent, certains à réformer, d’autres à inventer pour sauver la viticulture départementale et plus largement régionale.