n pleine mutation, les vins de Bordeaux connaissent des « temps chahutés » résume Jacques Bouey, désormais PDG du négoce éponyme (10 millions de bouteilles vendues annuellement). Ayant cédé son agence de communication à Paris l’an passé, il ajoute à la présidence qu’il assurait déjà la direction de la maison familiale, Stéphane Lefebvre, son précédent directeur général, venant de faire valoir ses droits à la retraite. Pouvant encore poser un regard encore extérieur sur la crise de commercialisation des vins de Bordeaux, Jacques Bouey estime que « tout le sujet à Bordeaux, c’est la création de valeur aujourd’hui. Et le négoce ne joue pas du tout cette carte. On n’est pas dans un cycle de construction de valeur, mais on en fait disparaître dans une bataille de prix. »
Dans ce contexte de tension tarifaire, la surproduction de vins rouges pèse sur les stocks, poussant nos « collègues [négociants] et néanmoins amis à balancer des stocks à des prix qui ne sont pas raisonnables » soupire-t-il, regrettant une carence de régulation : « le drame est le manque de gouvernance, avec des guerres de chapelles entre appellations, entre opérateurs... La régulation est insuffisante. On verra ce qu’il en est de la production 2023 et des effets de l’arrachage, mais ce ne sera qu’un court répit dans la chute des prix. Tant que l’on n’aura la production à égalité avec la demande, on n’y arrivera pas. »


Favorable à un encadrement des prix pour assurer la couverture des coûts de production et de commercialisation, Jacques Bouey sait qu’il faut un accord Cofessionnel dédié pour faire sauter l’exemption légale des vins. En l’état, le négociant rapporte que « les marges des négociants sont de plus en plus faibles et celles des producteurs je n’en parle même pas. Au prix du bordeaux aujourd’hui, la filière ne vit pas. C’est le problème de fond. » Une position qui risque d’en faire tiquer dans le vignoble girondin, le négoce Bouey ayant été ciblé en 2021 par des protestations de viticulteurs contre des ventes à bas prix.
Plaidant aujourd'hui pour le partage de valeur, le négociant ne se montre pas optimiste à court-terme, faisant état d’une situation de crise économique pesante, entre inflation et manque de liquidités. N’imaginant pas de reprise commerciale conséquente avant le second semestre 2024, Jacques Bouey rapporte qu’« il n’y a pas d’aspiration du marché au renouvellement de Bordeaux. Un entend souvent que si le consommateur veut du neuf, il va vers le nouveau monde, pas vers Bordeaux. » Pointant la force de la concurrence internationale, le négociant « mise à fond sur le blanc, le rosé, le crémant, le sans sulfite, l’IGP… »
Avec des investissements dans le marketing et l’appui à la commercialisation devant permettre à ce négoce de taille intermédiaire d’assurer sa rentabilité. Ses lignes de production génèrent des coûts fixes incompatibles avec la période actuelle de réduction de la demande. « La taille est un enjeu stratégique. Nous nous sommes restructurés financièrement pour être capable de faire l’acquisition d’un négoce permettant de grossir en volume et d’accélérer notre développement export » explique Jacques Bouey, se projetant sur des opportunités de croissance externe : « il faut créer un effet de levier. Nous sommes en recherche active de complémentarité, pour une réalisation en 2024 ».