l ne veut plus aller dans ses vignes. Le mildiou y a fait trop de ravages. Le 2 juin, un orage de grêle lui a d’abord fait perdre 30 % de sa récolte sur la moitié de ses 35 ha. Puis le mildiou est arrivé. « Il a plu 85 mm entre le 12 et le 22 juin sans que j’aie pu renouveler la protection, annonce Joël Barreau, propriétaire du château Roc de Baoudun, à Guillac, en Gironde. Le mildiou a mangé 80 % de ce qu’il restait. Je gère les traitements depuis quarante ans sur l’exploitation, je n’ai jamais vu une attaque aussi violente. Ça me brasse les tripes. »
Son vignoble est planté à 85 % avec du merlot. Du pain béni pour le mildiou, ce cépage étant particulièrement sensible à la maladie. « Si on atteint 25 % du rendement autorisé, ce sera déjà ça », confie-t-il.
Joël Barreau est en conventionnel. Au 25 juillet, il avait effectué sept traitements avec des produits pénétrants ou systémiques. Chaque passage lui est revenu à 2 625 € (produits et GNR) pour l’ensemble de sa propriété. L’an dernier, il n’avait effectué que cinq traitements de toute la saison. Ces deux traitements supplémentaires lui ont coûté 5 250 €, dont 2 000 € rien qu’en GNR. À cela s’ajoute le temps passé sur le tracteur : à chaque passage, 12 heures pour lui et autant pour son fils.
Mais le plus dur n’est même pas la fatigue, ni le mal de dos, c’est « le moral qui tombe au plus bas », affirme-t-il. Car au mildiou s’ajoute la mévente. Joël Barreau écoule deux tiers de ses vins en vrac et le tiers restant en direct en bouteille. Sa récolte 2022 est toujours dans le chai, ainsi qu’une partie des récoltes 2020 et 2021. Le négoce n’achète plus. « On se lève tous les matins pour perdre de l’argent », se désole-t-il. Las, c’est décidé : il va arracher 10 % de sa surface.
À Saint-Quentin-de-Baron, Jérôme Boutinon, propriétaire du château Hostin le Roc, 30 ha, veut lui aussi arracher quelques hectares, afin de se diversifier. « J’ai fait le deuil d’une bonne récolte. Je dois réagir », assure-t-il.
Ce vigneron bio a déjà effectué dix-huit traitements contre le mildiou, alors qu’il en fait une douzaine habituellement. Il emploie deux permanents. « On a travaillé 40 % de plus que d’habitude, rien que pour les traitements. » Malgré cela, le mildiou a attaqué les feuilles début juin, puis les grappes. Il pourrait avoir emporté 50 % de la récolte.
« Quand le mildiou est arrivé, j’ai pensé que j’avais fait une erreur. Puis j’ai compris que tout le vignoble bordelais était touché », observe Jérôme Boutinon. Le 25 juillet au matin, en arpentant ses vignes, il constatait que l’épidémie continuait de se développer ; de nouvelles baies flétrissaient.
En Dordogne, à Saint-Antoine-de-Breuilh, Benjamin Deffarge, cogérant avec son frère Quentin du château Moulin Caresse, 39 ha en bio, s’en sort mieux. « On a sauvé la récolte avec seulement 10 à 15 % de perte sur les merlots – un quart de notre surface – et pratiquement rien ailleurs. On a beaucoup anticipé », explique-t-il.
Début mai, il a senti qu’il y avait de gros risques. « Le temps était chaud et humide. Du coup, on a traité deux fois par semaine avec du cuivre. » Au global, il a appliqué quinze traitements préventifs, plus deux traitements curatifs à l’huile essentielle d’orange douce ; 800 €/ha, sans compter le gasoil ni la main-d’œuvre.
Le château Moulin Caresse, qui emploie six permanents, produit 300 000 cols et est en plein développement. « On joue notre récolte, notre chiffre d’affaires, la préservation des emplois et notre capacité de remboursement d’emprunts », détaille Benjamin Deffarge.
À Brens, dans le Tarn, Pascal Pelissou estime que les dégâts sont derrière lui. « Il n’a pas plu depuis quinze jours, rapporte ce coopérateur, à la tête de 25 ha en bio en AOP Gaillac, et de 45 ha en conventionnel en IGP Côtes du Tarn. La véraison a démarré ce 25 juillet. Sur les feuilles, le mildiou sèche. Je vais perdre 20 % de récolte en conventionnel et 5 % sur les bio. En conventionnel, j’ai du merlot et je n’ai pas pu anticiper l’orage qui est tombé le 11 juin car j’étais occupé à traiter mes vignes en bio. »
Pour lutter contre le parasite, il a effectué neuf traitements en conventionnel, contre six habituellement. Et treize en bio, contre onze en année de petite pression. Le coût ? « Je travaille 12 heures par jour depuis avril. Je ferai le calcul après les vendanges », tranche le vigneron.
Dans le Gard, David Codomié, propriétaire du domaine de Coursac, à Carnas, 33 ha en bio et biodynamie, se dit que la campagne est loin d’être terminée. Il pense avoir déjà perdu 30 % de sa récolte à cause du mildiou malgré huit traitements, contre cinq en tout l’an dernier. « On a passé deux fois plus de temps à traiter si bien qu’en juillet, on a dû négliger le travail du sol. » Sa véritable inquiétude porte sur la maturation de ses rouges. Depuis trois ans, le mois de septembre est pourri. S’il pleut de trop cette année encore, ses raisins n’arriveront pas à maturité.
Nicolas Fournié, coopérateur à Barguelonne-en-Quercy, dans le Lot, 35 ha en AOC Cahors en conventionnel, ne voit pas non plus le bout de la saison. « Avec le début de la véraison, le mildiou aurait dû se calmer. Mais il reste actif sur un de mes îlots de 11,5 ha, situé en fond de vallée, où je vais perdre ma récolte. » En juin, il a plu 200 mm sur ce secteur et en juillet, le feuillage est resté trop souvent humide le matin. La situation est bien meilleure sur son îlot de 23 ha situé sur les hauteurs, où il estime n’avoir perdu que 20 % de sa récolte.
En tout, le viticulteur a déjà effectué huit traitements, contre cinq habituellement. Un coût financier et humain bien lourd. « On a beaucoup travaillé, resserré les cadences. C’est épuisant. Je ne compte plus les heures supplémentaires de tracteur. » Comme bien d’autres vignerons, il ne voit pas comment il aurait pu mieux protéger ses vignes étant donné les conditions climatiques extrêmement favorables au mildiou.
Cette catastrophe vient s’ajouter aux précédentes. « Les viticulteurs du Lot ont subi le gel en 2017, 2019 et 2021. Là-dessus s’installe la crise des vins rouges. Et maintenant le mildiou. Pour beaucoup de mes collègues, c’est la panique. » Lui estime n’avoir pas le choix. « Il faut garder le moral », indique celui qui est président de l’ODG Cahors.