’est ce qui s’appelle avoir de la vista. Alors que les débats sur l’usage de jets privés ne quittent pas la sphère politique et que la filière vin cherche à réduire par tous les moyens son bilan carbone, la société Vistajet lance un "Wine Program" proposant des dégustations et voyages exclusifs en jet privé pour ses clients institutionnels, professionnels et particuliers. Un service à base d’expérience de dégustation en altitude et de masterclasses, notamment les champagnes Dom Pérignon ou les cognacs Hennessy (groupe LVMH), ainsi que des séjours, comme en Italie chez le réputé domaine italien Marchesi Antinori, avec un inévitable survol en hélicoptère des vignobles toscans : au diable l’avarice, surtout écologique ?
Une offre pour le moins luxueuse, dont les prix ne sont pas communiqués par Vistajet (qui explique que chaque voyage est personnalisable pour un coût variable). Une offre qui semble pour le moins anachronique face à l’urgence environnementale actuelle, entre objectifs et impératifs de sobriété carbone. « Les émissions du secteur de l'aviation en Europe ont augmenté en moyenne de 5 % en glissement annuel entre 2013 et 2019 » alertait récemment la Commission Européenne, prévoyant toujours des hausses après le repli de la crise covid. Se définissant comme la première compagnie d’aviation d’affaires dans le monde avec sa flotte de 360 avions, VistaJet estime résoudre la question coût écologique de son offre par des engagements en avance sur ceux de l’industrie aéronautique.
Comme le précise son site, la compagnie aérienne promet d’avoir une empreinte carbone neutre d’ici 2025 (l’Organisation de l’Aviation civile internationale vise 2050), avec des réductions de ses émissions (technologies de réduction de la consommation d’essence), l’adoption de nouveaux carburants dans les airs (et aux énergies renouvelables sur le sol) et surtout des programmes de compensation des émissions de gaz à effet de serre par l’achat de crédit carbone à l’opérateur South Pole (qui défend ce système de compensation face aux critiques croissantes sur des « crédits fantômes » n’ayant pas l’impact environnemental promis, comme le rapportait The Guardian, y compris contre les projets de South Pole qui pourraient être surestimés, comme l’indique Bloomberg). Plus globalement pour les arguments de neutralité carbone, l’Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME) recommande à tous les opérateurs de « s’engager dans une démarche de communication responsable : se défaire de l’approche purement arithmétique de la neutralité et ne pas focaliser leur communication sur la prétendue neutralité de leur territoire, activité, produit ou service ». De quoi appeler à la sobriété dans le déplacement aérien, ce qui n’a pas l’air d’être un impératif pour VistaJet, dont le président fondateur, qui revendique 800 heures de voyage par an. Mais la technologie et l’intelligence artificielle doivent « repousser les limites actuelles » répond Vistajet, travaillant sur un « modèle de gestion des routes pour ne pas voler à vide par exemple ».


Au-delà de son offre de tour-operator de luxe dans les vignobles du monde, l’offre de dégustation de grands crus dans la troposphère de Vistajet présente-t-elle un avantage gustatif par rapport à celle sur le plancher des vaches ? Les éléments de réponse de l’avionneur laissent dubitatifs. « La réception des arômes par les capteurs nasaux est limitée en raison de la pression atmosphérique plus faible et de l'humidité. Les bulles des vins mousseux, qui contiennent jusqu'à trente fois plus d'arômes que le liquide, ont tendance à coller aux parois du verre et les arômes de fruit diminuent tandis que l’amertume et l’acidité sont aussi réduites » explique Vistajet, citant le professeur Charles Spence (Université d'Oxford) qui « a également noté que le niveau de bruit de fond lors d'un vol commercial affecte négativement la perception de l'odorat et du goût ». Pour la compagnie, le niveau sonore dans ses jets est cependant inférieur de 35 décibels à celui des vols commerciaux classiques.
Le jet en vaut-il donc la chandelle ? À date, le seul concurrent sérieux à Vistajet en termes de bilan carbone pourrait être la dégustation d’une bouteille de Petrus allée dans espace. De quoi donner de nouvelles idées d’offres de dégustation exclusives ? Quand on mettra les flacons sur orbite, ils n’auront pas fini de tourner…