Dans une région montagneuse de la Méditerranée où les catastrophes sont la norme, les Grecs ont dès l’Antiquité mis en œuvre différentes stratégies pour optimiser leurs ressources, notamment viticoles » commence Thibault Boulay, vigneron dans le sancerrois et maître de conférences en histoire ancienne à l’université de Tours-François Rabelais, invité à la Cité du vin de Bordeaux lors des dernières « Vendanges du Savoir ».
Jusqu’à l’époque byzantine, la culture de la vigne a ainsi toujours été stratifiée, associée à d’autres espèces, « ce que les agronomes d’aujourd’hui appellent viticulture plurispécifique ».
Les vignobles grecs étaient provignés (marcottés), passant en quelques années de 7 à 30 voire 40 000 pieds par hectare, et complantés de céréales (orge, blé, millet…), de plantes fourragères (luzerne, vesce, féverole, fenugrec…) « permettant aux viticulteurs d’être aussi éleveurs », de lentilles, d’oignons, pois chiches, endives, salades, carottes, radis, betteraves… « On y trouvait également des arbres fruitiers, tels que le figuier et l’olivier ou le cerisier dans les régions plus humides. Et certains étaient réputés pour leur safran, leur ail, ou leurs haricots, qu’ils valorisaient bien sur les marchés » complète le conférencier. Les vignobles étaient également entourés d’arbres taillés en trogne, gros créateurs de biomasse.
Les Grecs avaient trouvé là le moyen de limiter le stress hydrique, de favoriser l’aération du sol et la vie biologique. « Ils avaient empiriquement compris que ces systèmes fournissent un habitat aux microfaunes utiles contre les bioagresseurs de la vigne ».
Quand la viticulture est devenue spéculative, les Grecs ont eu recours à l’esclavagisme pour biner les sols et entretenir les terrasses. Au cours de l’hiver, Thibault Boulay raconte que les ceps étaient déchaussés pour éliminer les radicelles de surface et pousser la vigne à s’enraciner pour aller chercher l’eau en profondeur. Les viticulteurs profitaient de cette opération pour apporter au sol des amendements dans lesquels les agronomes préconisaient l’ajout de feuilles mortes tombées des trognes, aujourd’hui reconnues source de carbone et d’azote.
« Ils utilisaient les cultures associées comme engrais verts. Théophraste disait que la fève fertilise le sol parce qu’elle a les tissus lâche et pourrit facilement » illustre Thibault Boulay, avant d’ajouter que les Grecs pratiquaient déjà le paillage, « et retournaient le lupin avant qu’il ne monte en graines ».
Les agronomes insistaient par ailleurs sur les vertus de la fève, de la vesce et de la citrouille en matière de lutte phytosanitaire. « Certains Grecs cultivaient également des concombres sauvages qui finissaient par exploser dans les vignes et projetait une substance protectrice, l’élatérine, sur les ceps. Elle compliquait les fins de fermentation et donnait des vins moelleux très appréciés ». Au moment de la vinification, les lamiacées (thym, romarin, origan…) étaient utilisées pour inhiber les bactéries lactiques.
Ce modèle s’est diffusé tout autour de la Méditerranée (de la Vallée du Nil aux hautes satrapies d’Asie centrale) dès le 8ème siècle avant JC avec la quête du royaume perse par Alexandre. « Les Grecs ont disparu du jeu politique au 2ème siècle avant notre ère mais le paysage a perduré. Nous savons que les envoyés de la dynastie des Han ont rapporté dans la capitale chinoise de la vigne et de la luzerne au 2ème siècle av. JC, que la vigne a ensuite été associée à des mûriers, des jujubiers, et des poiriers au 5ème siècle. En Ouzbékistan, des fouilles archéologiques ont démontré que la présence de melons dans les vignobles ».
Thibault Boulay aimerait que la profession s’en inspire pour imaginer la viticulture de demain. « Nous devons revenir sur le dogme de la pureté végétale et arrêter d’opposer polyculture et qualité » insiste-t-il en conclusion.