Le vin doit trouver sa place dans une société française métamorphosée. » Si le constat n’est pas nouveau, Jérôme Fourquet, directeur du département opinions & stratégie d’entreprises à l’Ifop, l’éclaire du regard aguerri de celui qui scrute les comportements de nos compatriotes à la loupe. Intervenu lors d’un colloque organisé par l’Université du Vin de Suze-la-Rousse le 28 mars à Avignon (Vaucluse), il a dressé les évolutions majeures qui secouent la consommation des Français et leurs conséquences sur celle de vin. Lequel se trouve sacrément en perte d’audience. « Le vin a perdu de son ancrage au sein de la société française, alors qu’il occupait jusque-là une place centrale », expose-t-il. La transmission a disparu. Mais, les tendances de consommation post-Covid n’y sont pas étrangères.
« La pandémie a renforcé la civilisation du "cocon", les individus sortent moins et investissent davantage leurs foyers, enchaîne le chercheur. La maison, le jardin et le barbecue : voilà ce à quoi ils rêvent. » Une tendance qui profite aux vins rosés en bouteilles, mais aussi en Bib® et qui explique le développement des ventes de vins blancs. Sans parler des bières. Dans ce contexte, les rouges sont forcément moins à la fête. D’autant que d’autres tendances ne jouent pas en leur faveur. « Nous sommes entrés dans l’ère de l’immédiateté : plus de 50 % des moins de 35 ans se font livrer leur repas à domicile au moins une fois par semaine, relève Jérôme Fourquet. Et, ceci est loin d’être un phénomène urbain ! Il va de pair avec l’achat d’impulsion. Dans cet environnement, la notion de vin "de garde" ne trouve plus sa place. » À ceci s’ajoute, la transformation des habitudes alimentaires. « L’ère est au snacking et aux plats venus d’ailleurs tels que les sushis, tacos, kebabs, hamburger, etc. précise Jérôme Fouquet. De nouveau, le vin et surtout le vin rouge se trouve en déphasage. »


Autre phénomène dépeint par l’analyste, « l’effet de sablier ». « Le nombre de biens et de services proposés aux consommateurs ne cessent de progresser, détaille-t-il. Avec l’inflation et la baisse du pouvoir d’achat, ils n’arrivent plus à suivre. Ils opèrent donc en permanence des arbitrages. Ils économisent sur certains produits pour pouvoir s’en offrir d’autres. C’est ce qui explique que les premiers prix s’en sortent mieux. Le ventre du marché en revanche s’effondre. D’où les difficultés des chaînes de prêt-à-porter, Camaïeu, Pimkie, Kookaï… positionnées sur le milieu de gamme. » Et de compléter : « Les vins connaissent le même phénomène. Il faut donc s’interroger sur la façon de les positionner pour les faire sortir du milieu du sablier. »
Selon lui, il ne faut pas uniquement viser le haut du panier, il faut aussi cibler un positionnement abordable avec des vins de soif et accessible. « Les vins doivent aussi s’inspirer des codes marketing des microbrasseries qui ont su rallier un nouveau public », souligne-t-il. Par chance, l’une des autres tendances qui a émergé à la suite du Covid, c’est le retour aux produits locaux et de proximité. Le vin a indéniablement une carte à jouer. Toutefois, la mention « produit d’ici » ne suffira pas. « Les vins rouges doivent revoir leurs profils, estime Jérôme Fourquet. Ils doivent présenter moins d’alcool, pouvoir se déguster frais et miser sur d’autres formats que la bouteille, comme la canette par exemple. »