a balance pas mal à Paris chantaient Michel Berger et France Gall. Ça va clairement remuer ce 13 février à l’occasion de l’inauguration du salon Wine Paris & Vinexpo Paris. Michel Chapoutier, le président de l’Union des Maisons & Marques de Vin (UMVIN) signe un communiqué de presse plaidant pour une distillation de crise sous condition afin de pouvoir financer un arrachage structurel (transformant la surproduction en sous-commercialisation, voir l’encadré pour le texte dans son intégralité). Indiquant à Vitisphere se baser sur les enseignements de la dernière distillation de crise, 240 millions € mobilisés en 2020 pendant la crise covid, le négociant rhodanien propose quatre conditions au plan de distillation de 160 millions d’euros évoqué le 6 février dernier par le ministre de l’Agriculture, Marc Fesneau (en deux vagues, une première de 80 millions € pour lancer « dès cet été une campagne de distillation » avant une deuxième vague pour octobre).
Pour Michel Chapoutier, il faut d’abord veiller à une distinction de prix pour la distillation entre vins d’Appellation d’Origine Protégée (AOP) et à Indication Géographique Protégée (IGP). En 2020, la distillation de crise valorisait 78 €/hl les vins excédentaires en AOP et IGP (et 58 €/hl les vins sans indication géographique, VSIG). « Les rendements sont différents entre AOP et IGP : il faut considérer des coûts de production à l’hectare différents » pointe le négociant. Autre condition d’efficacité du dispositif pour Michel Chapoutier : que les producteurs bénéficiant d’une distillation en 2023 s’engagent à réduire leurs rendements. « Pourquoi continuer à produire autant si ces produits ne correspondent pas au marché ? Il faut un engagement à produire moins » pointe-t-il, soulignant que les AOP d’Alsace et de Bordeaux ont réduit leurs rendements en 2020. Autre contrainte nécessaire pour le président de l’UMVIN : que ceux ayant eu recours à la distillation en 2020 n’aient pas les mêmes volumes éligibles que les primobénéficiaires. « Sous prétexte conjoncturel, on va aider des personnes qui sont déjà passées à la caisse avant » tacle Michel Chapoutier. Pour qui, sinon « on reproduit la même chose que la distillation d’il y a 3 ans, alors que l’on a eu 2021, une année de gel. Que va-t-on faire sinon, on va les distiller tous deux ans ? » Dernière condition évoquée : que l’agrément sous signe de qualité ne soit pas ponctuel, mais s’inscrive dans la durée afin d’éviter des effets d’aubaine en termes de labellisation, et de valorisation.


Avec ces contraintes, Michel Chapoutier en est persuadé : « on peut diviser par deux les besoins de distillation et son enveloppe. 80 millions € sont largement suffisants pour la distillation. Le reste peut être mis sur les mesures structurelles, plus rentables que la distillation, car pérennes. » Au-delà du constat de vignerons en fin de carrière et sans perspective de reprise, le négociant de Tain l’Hermitage pointe la responsabilité du trop-plein de contraintes : « ceux qui partaient à la retraite répartissaient leurs surfaces auprès de ceux qui restaient. Le nombre de vignerons diminuait et les surfaces d'exploitation augmentaient. Mais l’on arrive à une équation où les gens ne veulent plus s’agrandir. Ceux qui ont 3 salariés ne veulent pas avoir à passer à 5. Les exploitants n’ont plus envie de s'agrandir. »
Regrettant plus globalement l’absence de cogestion dans la filière vin (« on produit et après on se demande quoi faire. Les seuls vignobles en cogestion sont Champagne et Cognac, qui sont ceux qui marchent le mieux. »), Michel Chapoutier appelle à un sursaut stratégique dans la filière vin pour aider les créateurs de valeur de demain : « au niveau conjoncturel, comment expliquer qu’il y ait des gens en difficulté et d’autres qui ne le soient pas dans un même vignoble ? C’est la fable de la cigale et de la fourmi. Certaines entreprises ont su investir dans les années fastes, alors que d’autres non. »
Ça balance décidément pas mal à Paris.
Le ministre de l'Agriculture, Marc Fesneau, a annoncé le 6 février dernier, une enveloppe de 160 millions d'euros destinée à financer une nouvelle distillation de crise. Est-ce une aide à la filière ou une invitation à l'inaction ? « Les aides de l’Etat et de l’Europe devraient servir à soutenir le développement des marchés plutôt qu'à détruire du vin » déclare Michel Chapoutier, Président de l'UMVIN (Union des Maisons & Marques de Vin). « Là où certains voient une surproduction, nous voyons une sous-commercialisation et une inadaptation de certains produits aux attentes des marchés ».
Le fait de dépenser de nouveau 160 millions d'euros alors que 260 millions y ont déjà été alloués il y a deux ans, en dépit d'une récolte historiquement basse en 2021, est la démonstration d'une difficulté plus profonde. La filière connait des défis sur l'adaptation de son offre, qui se traduisent aussi dans sa capacité à assurer le renouvellement des générations. « En France, dans notre filière, il y a deux régions qui connaissent un succès pérenne : Champagne et Cognac. Ce sont deux régions où la prise en compte des marchés est primordiale, où la gestion interprofessionnelle et le consensus des familles sont centraux » rappelle Michel Chapoutier.
« Il n'y a pas une famille qui produit et laisse à l'autre le soin de vendre, en espérant que le consommateur suivra ! Or, c'est trop souvent ce à quoi on assiste : dans chaque région où il y a des opérateurs en difficulté, il y en a aussi d'autres qui se portent très bien et même qui surperforment. Là où il y a des structures en difficulté, il y a des coopératives et des vignerons qui vendent la totalité de leur production. Des structures qui se portent bien car elles ont su donner la priorité à leurs investissements dans les années fastes, quitte à se serrer la ceinture. »
Et de citer le rapport de Jacques Berthomeau qui, il y a 20 ans déjà, relevait : « L’inadaptation de nos modes de régulation tant nationaux que communautaires […] nous conduit, pour tenter d’éviter l’explosion, à prendre des mesures qui confortent ceux qui sont à l’origine de la crise et qui fragilisent ceux qui ont su adapter leur offre à la demande commerciale ».
Dans ces conditions, qu'attendre de la distillation annoncée par le ministre de l'Agriculture ? « Rien de durable » estime Michel Chapoutier. « Cela n'aidera même pas à accompagner ceux qui, en fin de carrière et sans repreneur, veulent trouver une sortie digne. La seule chose que je crains, c'est l'opportunisme de certains qui sauront profiter des effets d'aubaine et surtout ne rien changer. Contrairement à la fable, la distillation est à l'avantage de la cigale, pas de la fourmi. La seule façon de "moraliser" cela, c'est de fixer des conditions pour bénéficier de la mesure : des conditions sur le prix, qui tiennent compte du rendement et non d’une catégorie réglementaire, des conditions liées à l'aide déjà perçue il y a 2 ans, des engagements à réduire la production. Sinon, on remet ça dans 2 ans, voire avant si la récolte 2023 est normale ».
La distillation n'est pas la solution. Si le ministre veut néanmoins l'activer, il devra le faire uniquement sous conditions, de sorte que finalement, une partie de ces 160 millions puisse être orientée vers des actions structurelles et d'adaptation. Ce serait un juste soutien à tous ceux, notamment les jeunes, qui veulent s'y investir et construire un avenir de filière.