l'aube, cette vigne vit ses dernières heures. Ce vendredi 27 janvier à Mazan, dans le Vaucluse, Nicolas Isnard et son père, Marc, font broyer 60 ares d’une parcelle de mourvèdre plantée à 2,3 sur 1 m. Cet essai est une première car cette vigne n'a pas été arrachée. L'idée, c'est de la broyer sur place et s'en débarrasser en un seul passage.
Un franc soleil se lève. Le sol, gelé en surface, mais ressuyé, ne comporte pas de pierres. Les conditions sont idéales. « Nous voulons replanter cette parcelle de 1996, déclarent Nicolas et Marc Isnard. Nous arrachons ces 60 ares pour planter du Floreal, un cépage résistant. Nous sommes en bio, dans une démarche durable, et souhaitons tester une autre solution que la désoucheuse et le brûlage des bois. Pour nous, l’objectif est triple : ne pas dégager de particules fines dans l’air, restituer du carbone au sol et économiser le labour et l'élimination à la main des racines après le passage de la désoucheuse. Nous voulons voir si c’est faisable. »
Un essai qui est possible sur le plan sanitaire, cette parcelle étant indemne de court-noué et de pourridié. Ultime précaution : les exploitants viennent d'épandre un engrais organique en bouchons pour éviter la faim en azote que pourrait provoquer la dégradation du bois.
L’essai est organisé avec la chambre d’agriculture du Vaucluse. Devant une quinzaine de viticulteurs, l’entreprise Blanc BTP (Groupe Cheval) s’apprête à relever le défi. Ayant déjà l’expérience du broyage en place des vieux vergers, elle s’essaie pour la première fois aujourd’hui à la vigne. À cette fin, elle a apporté un broyeur Bugnot OBL’X de 2,5 m de largeur de travail. Cet outil mixte, conçu pour le broyage forestier et de pierres, est doté de marteaux triples en cascade et alternés, « pour déchiqueter un maximum le bois », précise Jérôme Mure-Ravaud, chargé d’affaires de l’entreprise.
L’outil est attelé à l'arrière d'un Fendt 939. Le travail commence en marche arrière et à petite vitesse, moins de 1 km/h. Le chauffeur se contente d'abord de déchiqueter les souches au-dessus du sol. Bilan pour les viticulteurs et la chambre : « Opération réussie ! »
Puis le tracteur revient en marche avant avec l’outil terré. À nouveau, il avance très lentement, à moins de 2 km/h. Arrivé en bout de rang, il enchaîne un troisième passage plus rapidement. Cette fois, le chauffeur ne fait plus de chichi.
Crédit photo Vincent Gobert
Premier constat après ces deux passages : « Ça bourre. » Plus précisément, de la terre fine s'accumule entre le broyeur et le tracteur. Ne s'évacuant pas, elle gêne le travail. Les viticulteurs présents veulent en outre savoir ce qui s’est passé sous terre. Ils creusent au pied, à la main ou à la pelle mécanique. « Le travail n’est pas assez profond, constate Gérard Gazeau, chargé de mission à la chambre d'agriculture. Je mesure dans les 20 cm au premier essai, presque 25 cm au deuxième. »
En conséquence, « il reste des culs de ceps (base du tronc) non déchiquetés et de grosses racines », observe Marc Isnard. « La machiner broie au ras des talons, remarque Nicolas. Mais les talons ne sont pas forcément broyés. »
Dans le même temps, tout le monde admet que les bois broyés sont suffisamment déchiquetés. « Je suis agréablement surpris, déclare Nicolas Isnard, car j’ai déjà vu un broyeur forestier faire plus grossier. » Dégât collatéral : un petit lissage se crée sous les marteaux.
Dans cette recherche empirique, un troisième essai s'improvise : le chauffeur, expérimenté dans le broyage de vergers, suggère de déchiqueter les parties aériennes puis souterraines de rangées contiguës et de broyer ensuite entre les deux rangées pour vérifier si l’on peut descendre un peu plus bas, ce qui ferait cinq passages en tout pour détruire deux rangs. Il exécute son idée, mais le résultat espéré n’est pas atteint. Le broyeur ne descend que de quelques centimètres supplémentaires au lieu des 40 cm de profondeur totale souhaitée.
Enfin, toujours dans l'espoir de travailler plus en profondeur, le chauffeur choisit comme terrain de jeu le haut de la parcelle, qui est en dévers. La force de pénétration dans le sol paraît meilleure. Plutôt qu’un avancement continu, il choisit de reprendre la ligne chaque fois qu’un bourrage se crée : il recule et repart. Il ralentit aussi sa vitesse d’avancement et force le terrage du broyeur. Résultat, le pont avant lève un peu, le train arrière patine parfois et le régime grimpe. Le chantier avance lentement, mais en profondeur et donne satisfaction. « On descend à 30 cm. La vigne est broyée sous le cul et les broyats sont fins. Il reste quelques racines mais le travail est bien meilleur », apprécie Gérard Gazeau. Patatras ! Après plus de deux heures de travail, l’outil lâche. Impossible de repartir. La démonstration s’arrête là.
Pas découragés, le père et le fils se disent « convaincus que ce genre de chantier a de l’avenir. Ce sera très bien quand on réussira à tout prendre avec le broyeur et qu’on aura juste à décompacter derrière ». En attendant, ils vont passer un coup de charrue sur les rangs qui viennent d'être broyés et enlever un maximum de racines à la main. Puis ils décompacteront le sol en vue de casser le lissage créé par les marteaux. Enfin, ils passeront une griffe pour égaliser en surface.
De son côté, la chambre d’agriculture compte évaluer le coût du chantier. Jérôme Mure-Ravaud n’a pas encore d’estimation. À titre indicatif, il informe qu’en arboriculture, il facture 4 200 € par hectare et par jour. « Le coût devrait être inférieur pour la vigne car il y a moins de volume de bois. Le volume de terre, lui, ne change pas. » Une vigne est morte, vive la vigne !
Jérôme Mure-Ravaud suggère d’approfondir l'expérience du jour avec d'autres essais et d’autres machines pour trouver la plus adaptée. Il pense notamment à des broyeurs comme un Bugnot de 3 m de large et un FAE dont le rotor dit « désaxé » descend indépendamment du bâti, de ses patins et de son enclume. Nicolas et Marc Isnard sont séduits par cette dernière possibilité. « Si le broyeur descend à 35 cm de profondeur, on n’aura pas à passer d’outil derrière. » Les viticulteurs suggèrent d'opérer en deux temps : d'abord superficiellement, puis en profondeur pour arriver aux 35 cm espérés. Mais l’entrepreneur avertit qu’il y a un risque élevé de patinage. Enfin, le chauffeur suggère de passer une sous-soleuse avant le broyeur : « De cette façon, les patins du broyeur prendront la trace laissée par le décompacteur et on pourra descendre plus profondément. »