essieurs les verriers, tirez les premiers ! Après une vendange généreuse, la Champagne se projette sur le tirage de ce millésime 2022 et ce n’est pas peu dire que le fog semble opaque en matière d’achats de bouteilles de verre. A priori moins sur les disponibilités que sur le prix des flacons nécessaires. Dissipant le brouillard avec la production conséquente de l’usine O-I de Reims* (deux fours pour sept lignes et 200 000 tonnes de verre produits/an, approvisionnant 50 % du marché champenois), Christine Bour, la directrice commerciale pour la France du groupe verrier Owen-Illinois souligne que « s’il y a un marché que l’on a protégé, c’est celui de Champagne. Il y a eu très peu de ruptures depuis le début 2022, il n’y a pas de raison que cela ne fasse pas de même en 2023. »
« Le marché est un peu compliqué : ça va s’éclaircir d’ici 15 jours, même si ça ne sera pas une vision à long terme » analyse Éric Pichart, à la tête du distributeur éponyme (basé à Avize). Se fournissant en bouteilles produites en Allemagne et Italie, il estime que 90 % de son marché est déjà signé : de quoi assurer les demandes de ses clients historiques (en bouteilles de tradition et de spécialité), mais pas de quoi répondre à des demandes plus opportunistes (avec des demandes tous les jours de toute la France). « Si l’on avait 30 à 40 millions de cols en plus, on les vendrait sans souci ! » plaisante-t-il, précisant qu’il ne peut seulement pas certifier de dates de livraison (avec les délais actuels).


Reconnaissant une « certaine psychose » avec des achats de couverture dès en septembre pour les tirages de l’année prochaine, Christine Bour ne s’attend pas à des difficultés notables sur le marché des bouteilles champenoises**. « Le marché verrier est en tension, ce n’est pas nouveau cette année » poursuit-elle, ajoutant que le verrier O-I a réalisé des arbitrages au profit de ses clients champenois, par la proximité de son usine marnaise, mais aussi par des liens historiques : « ce sont des clients fidèles, qui nous ont respecté sans faire appel à verriers de l’autre bout de l’Europe » note la directrice commerciale (ce qui n’est pas le cas de tous les opérateurs, notamment de crémants, voir encadré). Seules incertitudes persistantes, les délais de livraison qui peuvent s’allonger de quelques jours/semaines pointe Christine Bour, auxquels s’ajoute le brouillard sur les prix : « on ne peut pas donner les prix au premier janvier 2023 : ça peut varier tous les jours ».
« Il n’y a pas de souci en disponibilité, mais il y a un souci sur les prix : déjà +23 % sur l’année et on attend la prochaine augmentation » soupire Paul-Louis Vranken, le PDG de Vranken-Pommery Monopole. Notant des hausses spectaculaires partout (électricité, gaz, verre, cartons… et prix du raisin), Paul-Louis Vranken avance qu’en Champagne « on va être obligés de vivre avec une augmentation de 10 à 15 % » des prix de vente. Il y aura des ajustements à faire sur les prix, « ce n’est un mystère pour personne » note avec fatalité Didier Depond, le président des champagnes Delamotte et Salon (groupe Laurent-Perrier), qui ne s’attend pas à un ralentissement de la forte demande actuelle (« on nous demande 50 fois plus que l’on ne produit »). Soulignant travailler depuis 36 ans en Champagne, Didier Depond note n’avoir jamais vu une telle accumulation de tensions : sur les marchés très porteurs (pour toutes les maisons et produits), sur les transporteurs (export en France) et sur les fournisseurs de matières sèches (cartons, capsules, coiffes, muselets, caisses en bois…).
Confirmant les difficultés d’approvisionnement sur tous les produits (cartons, coiffes…), la vigneronne Mathilde Savoye (3,4 ha sur la commune de La Neuville-aux-Larris) indique ne pas être inquiète pour les commandes de bouteilles en verre, n’ayant pas eu spécialement d’impact à son échelle (et son fournisseur l’ayant rassuré). Pour Mathilde Savoye : « on sait qu’il faut anticiper sur tous les produits ». Le dirigeant d’un négoce champenois ajoute que la date de tirage n’est pas limité à un jour donné et peut évoluer en fonction des bouteilles disponibles : « nous sommes équipés et pouvons conserver les vins ». D’après le cahier des charges de l’AOC Champagne, le tirage en bouteille doit avoir lieu seulement après le premier janvier de l’année suivant la récolte.
* : En septembre 2023, un four sera mis à l’arrêt pendant deux mois pour des travaux de modernisation (permettant au four de « repartir pour 15 ans » précise Christine Bour).
** : Même si l’incertitude demeure au sujet des mesures gouvernementales de réduction des consommations d’énergie, et donc de diminution des productions.
Encadré
Crémants en tensions
S’ils partagent la même bouteille, les crémants n’ont pas le même traitement que les champagnes. Parmi les premiers, « des clients ont eu beaucoup d’opportunisme à travers le temps, avec des achats au Portugal, en Espagne… » indique Christine Bour, notant que les verriers ibériques exportent moins à cause des coûts de transport et de leurs demandes locales : « je comprends que certains soient dans l’ennui : mais nous ne pouvons pas palier aux déficiences du marché ». Le manque de bouteilles est donc particulièrement criant parmi les crémants. En témoigne Céline Lannoye, la directrice des crémants Celene (1,3 millions de cols/an, notamment avec la marque Ballarin), pour qui « on souffre du flou sur les productions et les disponibilités de bouteilles. On commence à sentir de grandes difficultés, surtout sur les verres blancs. On va commencer le tirage en décembre jusqu’à juin. En fonction des arrivages, les disponibilités peuvent avoir impact sur nos plannings de tirages. On vit au jour le jour. Ça pose surtout des difficultés pour établir les tarifs 2023. C’est une grosse difficulté conjoncturelle, sur laquelle on n’a aucun levier. Nous n’avons pas le poids de la Champagne à Bordeaux, il n’y a pas la même écoute. » Espérant une normalisation après un premier trimestre 2023, Céline Lannoye précise n’avoir, jusque-là, jamais eu de blocages liées à une pénurie de bouteilles (les tensions ayant démarré dans l’après-covid, pour s’accentuer avec la guerre en Ukraine).