’il y avait une arlésienne pour le premier forum international sur les sols vivants de Moët Hennessy (filiale des vins et spiritueux de LVMH), ce n’était pas le sujet de la concrétisation de la transition agroécologique dans les vignobles. « La problématique, c’est de passer à l’action. Il faut que la marche ne soit pas trop haute » indique lors d’une table ronde Jean-Philippe Hecquet, le PDG des cognacs Rémy Martin & Louis XIII (groupe Rémy Cointreau), soulignant que « le frein, c’est d’embarquer les viticulteurs. La première peur étant celle du rendement. » Prenant le parti de rassurer ses 800 livreurs avec la réalisation d’essais sur ses 240 hectares de vignoble en propre, la maison Rémy Martin applique la même stratégie de démonstration par l’exemple que les autres principales maisons charentaises.
« On dit la même chose, à croire que l’on est dans la même société » glisse dans un sourire Laurent Boillot, le PDG des cognacs Hennessy, indiquant que « sur le terrain, on est Nadal contre Djokovic, on ne va pas se faire de cadeau. En revanche, on est à côté de ça un collectif. » Avec ses racines américaines, Nicole Rolet, vigneronne au domaine du Chêne Bleu (Ventoux), indique être « convaincue qu’en travaillant ensemble, le tout est plus important que la somme des parties ». Ce que partage Berta de Pablos-Barbier, la PDG des champagnes Moët & Chandon : « aux États-Unis il y a le concept de la "competitive collaboration" (collaboration compétitive). Les compétiteurs collaborent pour l’essentiel : la biodiversité, la planète, l’agroécologie sont fondamentales. »


« Le futur, je le vois collectif pour un impact mondial : le statu quo n’est pas possible » confirme César Giron, le PDG des cognacs Martell et champagnes Mumm & Perrier-Jouët (groupe Pernod Ricard). Mais à partager ses bonnes pratiques entre opérateurs, la comparaison n’est pas forcément rassurante. Face aux projets des autres maisons, « on se sent encore plus petit, ce qui donne envie de grandir » rapporte César Giron, dont les maisons ont arrêté depuis 4 ans l’usage d’herbicides dans leurs vignobles en propre. « On a l’impression que l’on ne fait jamais assez » note Berta de Pablos-Barbier, qui affiche l’ambition pour Moët & Chandon de créer 100 km de corridors écologiques pour que l’on entende des oiseaux chanter dans les vignes de Champagne.
Alors qu’il n’y pas « une, mais mille solutions » pour prendre le virage du développement durable, le défi est de « trouver des priorités » souligne Jean-Philippe Hecquet pour Rémy Martin. « Il faut choisir ses grands combats » renchérit Laurent Boillot, qui évoque les projets Hennessy d’implanter 1 000 km de haies pour 2030, l’implantation de 300 ruches, des essais d’agroforesterie… « Notre responsabilité [est de faire notre part], parce que c’est éthique et que de toute façon on sera rattrapé un jour ou l’autre par la cavalerie, des consommateurs et de la réglementation. Il y a intérêt à anticiper toutes les normes, ça nous oblige à aller de l’avant » pointe Laurent Boillot.


« La probabilité que l’on soit prêt le jour où l’on devra rendre des comptes est très faible. C’est pourquoi il faudra raconter la vraie histoire de notre engagement concret, pratique, au long des années » analyse César Giron, qui souligne que les cognacs et champagnes ont la particularité de nécessité un long temps d’élevage avant d’être commercialisés. « Avec comme conséquence que le consommateur, lorsqu’il va ouvrir ses bouteilles dans quelques années, quelques décennies, va juger nos pratiques d’aujourd’hui avec sa sensibilité environnementale de demain, qui aura cru de façon exponentielle » explique le PDG de Martell, Mumm et Perrier Joüet. Comme « gérer, c’est prévoir. S’il y a une industrie qui doit être à l’avant-garde et anticiper, c’est bien le champagne et le cognac » souligne-il.
Pour réussir la transition environnementale, « il faut de l’humilité, moins d’imprévoyance et tuer l’arrogance et la cupidité. On a un merveilleux laboratoire à ciel ouvert qu’est l’agriculture, avec la vigne et les produits que l’on en sort » estime le biologiste Gilles Bœuf (enseignant à la Sorbonne, université Pierre et Marie Curie), qui rappelle que « la vie a tout subi, elle s’est adaptée pour être encore là. Elle s’est adaptée à un prix : elle a accepté de changer. Et nous, nous ne changeons toujours pas. La résolution est claire : nous devons changer ensemble et nous aurons peut-être un avenir. »