Marc-André Selosse : Il faut resituer l’historique entre l’utilisation d’arsénite de soude contre l’esca, de disulfure de carbone contre le phylloxera, de cuivre contre le mildiou, pesticides variés et, au-delà, les labours intensifs pour limiter la compétition de l’eau. En lisant l’Atlas français des bactéries du sol (publication de l’INRAe de Bourgogne), on s’aperçoit que c’est dans la vigne qu’il y a le minimum d’activité microbiologique des sols (comme en arboriculture). En regardant bien, on s’aperçoit que le verre peut être à moitié vide et à moitié plein : il n’y a pas d’extinction d’espèces, mais les effectifs diminuent. La catastrophe n’est pas sur le nombre d’espèces, mais sur le nombre d’organismes : la biomasse microbienne est faible, ce qui implique une moindre diversité génétique. C’est le début de la fin, mais ce n’est pas la fin. La bonne nouvelle, est que l’on peut se ressaisir : se reprendre pour améliorer la vie des sols.
Comment améliorer cette activité microbiologique ?
Une solution est d’enherber la vigne. Cela peut créer des problèmes transitoires de compétition pour l’eau, comme le stock de matière organique n’est pas reconstitué et parce que les racines de la vigne sont en surface et doivent plonger pour éviter celles du couvert végétal. Enherber permet aussi de ramener de la matière organique dans le sol, qui retient l’eau par elle-même comme une éponge et par son effet de porosité du sol par l’agrégation. Un autre aspect est de réduire le labour, qui augment l’érosion. Au total, dans un sol couvert vont proliférer les microbes et animaux qui vont créer de la porosité une capacité active à décompacter et faire rentrer de l’eau, tout en retenant le sol.
Depuis ma position, c’est facile de dire au doigt mouillé ce qu’un vigneron doit faire. Car en réalité, il n’y a pas une solution unique : il faut décliner l’enherbement et le travail du sol selon les bassins viticoles, les terroirs, etc. Ça ne va pas être un pique-nique au soleil, il va falloir s’adapter. Mais la bonne nouvelle, c’est qu’il y a des solutions à explorer et adapter.
La gestion des sols passe également par l’encépagement. Les cépages résistants au mildiou et à l’oïdium, les obtentions Resdur, permettent de traiter deux fois moins, donc de moins tasser le sol et de réduire les apports de cuivre et pesticides dans le sol. Cela implique des changements dans les modalités de production, mais il ne faut pas compartimenter les solutions. En plus, le changement climatique créé l’occasion de changer les cépages… et les pratiques.
Comment suivre le développement biologique de son sol ?
Des analyses classiques suffisent (compaction, NPK…), il n’y a pas besoin de passer à la caisse pour une analyse microbiologique (qui est souvent difficile à utiliser, même pour un expert) ou des inoculations (qui sont souvent d’origines exotiques et aux effets encore peu assurés), alors qu’il y a de la vie locale à réveiller dans les sols. Les vignerons sont déjà des microbiologistes en cave (avec les levures et bactéries lactiques), qu’ils restent des agriculteurs au champ : les gestes classiques sur le sol et les plantes suffisent.
Le mot de la fin ?
Ce n’est pas parce que je pointe des gestes inappropriés (labours intensifs, traitements phytos…) que je montre du doigt les vignerons. Ils gèrent une difficile complexité et il faut les aider techniquement, par la recherche et le transfert. Il faut un sursaut incluant les consommateurs pour aller vers des pratiques plus vertueuses, attestées par des labels. J’en appelle à l’agroécologie.