aute de connaître exactement ses projets de développement, l’ombre de l’implantation de Moët Hennessy (groupe LVMH) dans le vignoble de Provence (datant de la fin 2019) plane sur tous les esprits durant l’assemblée générale du syndicat Côtes de Provence ce 7 avril au château de la Font du Broc (Les Arcs). Cette ombre est-elle celle d’un berger amenant vers de nouveaux pâturages, ou celle d’un loup s’apprêtant à mettre à sac la bergerie ?
Dans son discours d’ouverture, Éric Pastorino, le président de l’Organisme de Défense et de Gestion (ODG), allie confiance dans les forces provençales et vigilance sur la préservation de ses typicités : « notre appellation a vu arriver ces dernières années […] quelques maisons de renom, qui, fort de la notoriété des vins Côtes de Provence, et persuadé de notre potentiel de développement, ont souhaité investir en Provence. Nous devons être fiers de l’engagement de ces nouveaux acteurs. Nous devons intégrer ces évolutions dans la stratégie de notre appellation. » Si la croissance annoncée des vins de marque va donner de nouvelles dynamiques à l’appellation en termes de besoins d’approvisionnement et de contractualisation : « c’est une réalité et cela implique une réflexion sur l’évolution de notre appellation et de notre stratégie. Je suis un ardent défenseur de la création d’un modèle économique provençal et non pas, de transposer une organisation champenoise en Provence (même si je reconnais leur succès). »


En se basant justement sur « l’exemple de la Champagne, ce qui est important, c’est l’équilibre des pouvoirs au niveau de l’interprofession entre les différentes familles qui la compose. Ça me paraît critique. Mais les équilibres varient en fonction des marchés et de leurs évolutions (les structures sont différentes quand il commercialisation directe en France ou développement à l’export) » indique le négociant Jean-Marie Barillère, "jeune retraité" des instances champenoises, participant à la table ronde dédiée aux liens entre marques et AOP. Pour Jean-Marie Barillère, le tracé de la valorisation provençale est clair : « vous devez vous servir à fond de la marque collective [qu’est] la Provence, qui a tellement d’attributs positifs que c’est un socle sur lequel vous devez bâtir des marques, de domaine ou commerciales, pour rajouter une couche de valeur ajoutée. Et à partir du moment où vous ne parlez plus de coûts de production mais de chiffres de ventes avec une grosse valeur immatérielle, je dis bravo : vous avez tout gagné. »
Dans l’auditoire, ce n’est pas la question de la création de valeur supplémentaire qui se pose avec le développement d’une stratégie LVMH en Provence, ce serait plutôt l’interrogation sur ceux qui vont profiter de cette manne avec l’arrivée d’un groupe omnipotent en Champagne (mais aussi à Cognac). « Cette locomotive tire l’ensemble de la Champagne, oblige l’ensemble des opérateurs, du négoce comme du vignoble, vers l’excellence » réplique Jean-Marie Barillère, le directeur des activités Champagne de Moët & Chandon (LVMH).
« Je crois que l’on doit être heureux aujourd’hui de voir arriver toutes les plus belles maisons dans notre région. Nos parents n’ont pas vécu ça, ils ont connu les périodes difficiles, la surproduction » estime Laurent Rougon, le président de la Fédération des vignerons coopérateurs du Var, qui croit dans le partage de richesse grâce à la montée en gamme de la demande : « une des premières missions des caves coopératives est d’approvisionner en vins de marque. Nous sommes capables d’apporter des volumes massifs. »
« Cette attractivité de la filière donne de la valeur » confirme la vigneronne Hélène Dragon (domaine Jacourette à Pourrières), qui note cependant qu’« il y a un risque de rendre plus difficiles les transmissions et installations. Cela peut mettre en péril le format des vignerons indépendants tel qu’on le connaissait. » Une crainte éteinte par Sylvain Dadé, co-fondateur de l’agence SoWine, qui estime que « l’arrivée de grands noms, c’est une opportunité. Mon observation en Champagne, c’est que la région a une grosse dynamique de vignerons indépendants, qui surfent sur la vague et parviennent à proposer dans la premiumisation un modèle alternatif aux grandes marques. »
« On est au début d’une histoire, c’est la question de l’équilibre qui aura son importance à l’avenir. C’est là-dessus qu’il faudra de la discussion » pose à l’issue des échanges Éric Pastorino, pour qui le but est d’« inventer un modèle provençal où le partage est là […]. La richesse des AOC doit profiter à tous » ajoute-t-il, prônant la cohabitation des modèles et prévoyant des échanges entre les représentants de la production et du négoce.