Sébastien Pierre, du château Caillou travaille sur 15 ha à Barsac en Gironde. « Cette année, nous changeons de stratégie. Nous n’avons commencé la taille que début février alors qu’habituellement nous démarrons en décembre. Nous démarrons par les parcelles les moins gélives, l’objectif étant d’avoir tout taillé début avril. C’est un pari, car en mars, il y a les amendements à faire, la confusion sexuelle à mettre en place ; ce sera tendu. Pour nous avancer, nous avons inversé le sécaillage [remise en état des palissages, ndlr] pour le faire avant la taille. Du coup, j’ai équipé les tailleurs de raccords pour réparer les fils si jamais ils les coupent à la taille. Nous avons également renforcé notre équipe de tailleurs pour passer de deux-trois personnes à quatre. Le travail sera plus compliqué cette année, car nous avons conservé les bois qui sont repartis du tronc après le gel. Les vignes sont buissonnantes. Les tailleurs devront faire le bon choix parmi tous ces bois. Nous les avons briefés avant le démarrage de la taille, en faisant un tour dans les parcelles pour voir avec eux comment sélectionner les bois, dans l’alignement du flux de sève. Nous finançons le surcoût de la taille par l’économie sur l’assurance que nous n’avons pas renouvelée. Sur la période 2017-2021, nous avons eu quatre années de gel. Notre moyenne olympique est très basse. De ce fait, l’assurance perd de son intérêt. Mieux vaut investir les 10 000 € ainsi économisés dans cette nouvelle stratégie de taille afin de réduire les risques de gel. »
Charles Mazure est coopérateur sur 10 ha à Villeveyrac dans l'Aude. « J’ai gelé à 100 % sur 4,5 ha. Ce sont des vignes de 5 à 7 ans de grenache noir et grenache blanc, taillées en cordon de Royat. Là, le gel a été si sévère qu’il a tué les bras ; je dois reformer tous les ceps. Pour cela, j’ai anticipé : au printemps, je n’ai épampré qu’au bas des pieds et laissé les pampres qui ont repoussé du tronc. Ce sont ces bois que j’utilise pour reformer les bras. C’est un travail de titan : il faut supprimer les bras morts, les dégager du fil de palissage, retailler les nouveaux bras et les attacher. J’ai la chance que ces vignes étaient en bonne santé : dans 80 % des cas, j’ai les bois qu’il faut pour reformer la charpente. Dans les 20 % restants, je ne peux faire qu’un bras par souche car je n’ai qu’un seul rejet sur le tronc. Je raisonne au cas par cas. C’est du bricolage, mais comment faire autrement ? En tout, je passe trois fois plus de temps qu’habituellement pour la taille. J’ai démarré le 1er novembre et fin janvier, il me restait encore 3 ha à tailler, les vignes les plus touchées par le gel que j’ai gardées pour la fin. Qui plus est, j’ai beaucoup d’oïdiums sur les bois. N’ayant quasiment pas de récolte sur ces vignes gelées, j’ai réduit les traitements pour limiter les coûts. Je n’ai pas parfaitement maîtrisé l’oïdium. Ce n’est pas une bonne nouvelle ».
Grégory Bobbato, du domaine du Saux Neuf, 15 ha à Fleurance dans le Gers. « Cette année, la taille est un casse-tête, car nous avons gelé à 95 %. Nous avons démarré en décembre avec mes deux saisonniers et mon père, retraité. Nous taillons en guyot simple. Nous avons commencé par les parcelles où les bois ont le mieux repoussé. Les flèches (baguettes) et coursons ont gelé à cœur, les bois sont repartis du tronc. Ils ne sont pas au bon endroit, mais on en a suffisamment pour trouver des flèches. Ces vignes représentent environ 50 % du vignoble. Par contre, dans des vignes plus jeunes où la repousse a été moins bonne, il est très difficile de trouver des flèches. On fait comme on peut, ce n’est pas une taille très académique. Le pire, ce sont nos 3 hectares de plantiers où nous sommes obligés de reformer les pieds. Le temps passé à tailler n’a rien à voir avec les autres années : habituellement, il me faut de 30 à 35 minutes pour faire un rang, cette année j’y passe entre 1 heure à 1 h 10. Dans les vignes les plus atteintes, c’est du travail au cas par cas pour rechercher la solution la moins mauvaise pour chaque pied. Cette année, pour rien au monde je n’aurai délégué la taille. »
Éric Therrey, 8 ha à Montgueux dans l'Aube en Champagne. « C’est une taille un peu particulière cette année, mais pas plus compliquée. Nous avons démarré en janvier car nous n’avons pas eu le temps avant du fait des expéditions de fin d’année. Nous taillons la moitié des surfaces en chablis l’autre en guyot. Pour la taille chablis, les 5 yeux ont gelé, on les voit encore, tout secs. Seuls les bourgeons de couronne ont repoussé, donnant parfois 2 ou 3 pousses. Du coup, on n’a rien à supprimer. On se retrouve sur la même base que la taille de l’hiver 2020-2021. Les bois sont beaux car peu nombreux et donc parfois difficiles à plier, mais rien d’insurmontable. C’est un peu plus compliqué pour la taille en guyot, car il y a eu moins de départs. Les bois sont essentiellement des gourmands non fructifères qui sont repartis du pied. Il faut parfois se creuser la tête et être créatif pour s’adapter à cette configuration qui oblige à sortir des standards habituels. Mais, globalement, nous n’y passons pas plus de temps. Je taille avec un saisonnier et mes deux filles. C’est une bonne école. »
Mathieu Nicolle, 8 ha à Poilly-sur-Serein dans l'Yonne. « J’ai été très fortement touchée par le gel. Nous taillons en guyot simple ou double. Toutes les pousses issues des premiers bourgeons ont gelé. La taille est plus compliquée car il faut trouver les bonnes baguettes. On choisit en priorité les bois issus des contre-bourgeons qui ont porté des raisins. Ils ont souvent poussé de façon un peu anarchique. On sélectionne la baguette la mieux disposée pour être abaissée sur le fil. Sur certains pieds, les seuls bois sont les gourmands repartis du pied. Dans ce cas, il faut faire avec. On improvise. Même s’il y a moins de bois à retirer, on passe plus de temps à tailler car il faut réfléchir plus longtemps pour choisir les bonnes baguettes. J’observe beaucoup plus de symptômes de bois noir cette année. Est-ce lié au gel ? C’est à creuser. J’ai commencé à tailler mi-novembre, car étant aussi céréalier, j’ai beaucoup de travail en février-mars. Mais, cette année, dans mes parcelles les plus gélives, je vais tester l’épluchage des baguettes après la taille, au mois de mars et on abaissera les baguettes au mois d’avril. En espérant que la vigne ne débourre pas trop tôt pour qu’on ne soit pas en retard sur les autres travaux. »