Marie-Christine Verdier-Jouclas : Aujourd’hui, nous ne comprenons pas comment l’article 15 du rapport BECA [NDLA : pour Beating Cancer] peut indiquer qu’il n’y pas de "safe level" (de niveau de consommation sans impact pour la santé). En l’état, et bien que l’affirmation ne soit pas en cohérence avec l’OMS, cela pourrait suffire pour que des textes législatifs décident de déclarer nocive la filière viticole avec toutes les conséquences que cela pourrait avoir sur la communication et l’accès aux aides européennes en faveur de l’agriculture. Qui voudra financer demain une filière vin jugée nocive ? Il n’y a pas que nous, députés français, qui nous mobilisons : nos collègues espagnols et italiens sont aussi inquiets*.
Que l’on soit bien d’accord, nous sommes pour la prévention et la santé publique en matière d’alcool. Mais avec comme postulat de base que l’on doit avoir une consommation modérée, responsable et conviviale de vin. Nous devons cibler les consommations excessives et les personnes fragiles (mineurs et femmes enceintes).
Malheureusement, ce rapport va à l’encontre du travail que nous menons depuis le début du mandat au niveau national avec la filière, les ministères de l’Agriculture et de la Santé. Nous sommes en ligne avec le ministre de l’Agriculture, Julien Denormandie. Il y a également les propos du président de la République, Emmanuel Macron**. À nouveau, on oppose une consommation de vin à la santé alors que je suis convaincue que l’on peut tous travailler ensemble, pour la santé publique, sans dire que le premier verre de vin est nocif.
Avez-vous eu un retour de la rapporteuse Véronique Trillet-Lenoir à votre lettre du 22 janvier ? Sachant qu’elle appartient également à la majorité présidentielle…
À ce jour, nous n’avons pas eu de réponse à notre courrier. Nous en attendons une. Cela me rappelle la campagne de communication du début de mandat contre les consommations excessives qui représentait un tire-bouchon. Je comprends très bien le travail de la députée européenne en ce qui concerne la lutte contre le cancer. Mais c’est très stigmatisant et cela met tout le monde dans le même panier. C’est dommage. Nous faisons tout pour faire entendre notre voix, qui est raisonnable. Parmi les membres de notre groupe d’étude, nous avons des élus investis dans la lutte anticancer (voir encadré).
En prenant position pour la défense de la culture du vin, ne craignez-vous pas de renforcer l’image de "lobbyiste du vin" que vous collait Cash Investigation l’an passé ?
Je ne peux pas l’empêcher, mais je ne me considère pas comme une lobbyiste du vin. Et mes collègues non plus. Ce n’est pas la filière que l’on défend. C'est un patrimoine culturel, ce sont des femmes et des hommes qui travaillent, façonnent la terre, permettent de partager des moments conviviaux et participent à l’image de la France à l’export. Il s’agit d’intérêts collectifs, pas individuels.
* : Président de la communauté autonome de Castilla-La Mancha et de l’Assemblée des Régions Viticoles Européennes (AREV), Emiliano García-Page déclare contacter « tous les groupes parlementaires de l'Union Européenne pour qu'ils soutiennent une initiative visant à consolider la culture du vin », comme il l’annonce ce premier février en marge de l'inauguration du centre d'interprétation de l'oliveraie de la Finca La Pontezuela (à Los Navalmorales, Tolède).
** : Lors de son discours de présentation du plan cancer en février 2021, le président Emmanuel Macron déclarait que « l’alcool est un autre facteur de risque, à l’origine d’un cinquième des cancers évitables. Alors, certes, l’alcool, les alcools en particulier produits en France qui font partie de nos traditions, appartiennent à notre art de vivre, notre sociabilité. Il ne s’agit pas d’aller vers le zéro alcool mais bien de prévenir les excès et de mieux aider ceux qui sont dans une forme de dépendance, à en sortir. […] Nous devons tout faire pour que les plus dépendants de l’alcool, réduisent leur consommation et là aussi pour mieux prévenir, informer, accompagner. »
Pour les hygiénistes les plus fervents, la députée de l’Aude Mireille Robert pourrait être taxée de schizophrène. Vice-présidente du groupe d’études vigne et vin ainsi que secrétaire du groupe de travail sur la gastronomie, elle assure également au palais Bourbon la vice-présidence du groupe de travail sur le cancer et a été nommée référente auprès de l’Institut National du Cancer (INCa). « On peut à la fois s’occuper d’addiction et défendre la gastronomie » rétorque Mireille Robert, soulignant qu’il faut expliquer les risques et faire confiance à la raison des citoyens, la députée audoise se veut philosophe et se définit comme « femme modérée. La vie est courte et il faut profiter de ce qu’elle nous apporte. Ce qui est bon pour le moral l’est aussi pour la santé. Mais sans être naïf, il faut prévenir les excès. » Car en excès, tout devient dangereux « l’exposition au soleil, la consommation d’alcool, la pollution atmosphérique… C’est très injuste de s’en prendre ainsi au vin » regrette la rescapée d’un cancer du sein (en 2004), également épouse d’un vigneron (près de Limoux).