a piquette sur la sellette. Plusieurs domaines viticoles commercialisant cette boisson alcoolisée « faite d’eau et de marc de raisin » ont été contrôlés récemment par la Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des fraudes (DGCCRF). Les inspecteurs leur indiquant que la commercialisation de cette boisson traditionnelle reste interdite malgré la demande actuelle des marchés. « Il n’y a pas de ciblage spécifique de la part de la DGCCRF concernant le contrôle de la piquette. Ces contrôles sont réalisés dans le cadre de contrôles beaucoup plus large dans le secteur du vin » précise l’administration à Vitisphere, précisant qu’« aucune verbalisation n’a été effectuée », mais qu’« à ce stade, les Brigades d’Enquêtes sur les Vins et Spiritueux (BEVS) de la DGCCRF se sont contentées de rappeler la réglementation ».
Se basant sur le règlement 1308/2013, la DGCCRF indique aux vignerons producteurs que la piquette*, « pour autant que sa fabrication soit autorisée par l'État membre concerné, ne peut être utilisée que pour la distillation ou la consommation familiale du viticulteur » (annexe VIII partie II point D.4). Une limitation validée par l’article 432 du Code général des impôts : « les vins de marcs, vins de sucre, piquettes et autres vins non conformes […] saisis chez le producteur de ces vins ou chez le négociant, doivent être transformés en alcool après paiement de leur valeur ou être détruits. En attendant la solution du litige, le prévenu est tenu de conserver gratuitement les marchandises intactes. »


Ayant commencé sa production de piquette en 2017, le domaine la Calmette (9 hectares à Cahors) a reçu début mai une visite de la DGCCRF : « c’est un choc d’apprendre que ce n’est pas permis » témoigne Nicolas Fernandez, cogérant de la propriété. S’il produit peu de piquette (300 bouteilles), le domaine avait vérifié avec ses services des Douanes le cadre fiscal de cette production : « il y a un flou de réglementation. La piquette a été interdite en 1907 pour protéger le vignoble, mais ce Code du vin a été abrogé en 2003. Nous ne connaissions pas la directive européenne de 2013 » expliquele vigneron du Sud-Ouest.
Boisson traditionnellement réservée aux ouvriers viticoles, la piquette génère un véritable engouement aux Etats-Unis note Nicolas Fernandez, qui regrette son interdiction alors que de nouveaux consommateurs et producteurs s’y intéressent. « Vins nature et piquettes sont très liés. Il faut être buveur de vin nature et connaisseur de ses codes pour boire de la piquette, c’est un peu gazeux et réduit à l’ouverture » indique le vigneron de Cahors. Mais avec ces rappels à la loi de la DGCCRF, il s’agit d’une « interdiction de commercialiser des marcs mouillés et refermentés. L’autorisation est seulement possible pour la consommation propre » confirme un autre vigneron contrôlé, qui ne souhaite pas être nommé.
Autre case administrative
Mais tous les producteurs de piquette ne partagent pas cette grille de lecture. « Nous sommes dans un pays libre. Il faut s’arranger pour être dans la bonne case » explique, sous couvert d’anonymat, un vigneron du Rhône. « La grosse erreur faite par plein de producteurs de piquette, c’est de rentrer leurs stocks directement avec leurs vins » rapporte-t-il, expliquant que la solution pour répondre aux demandes administratives et de créer « un autre compte de production, avec un agrément de négoce pour la production de boissons fermentée autres que le vin et la bière ».
Cette solution imposerait de nombreuses obligations (classification fiscale différente, obligation d’étiqueter les ingrédients…), mais pour son promoteur, elle permettrait de continuer à répondre à une demande croissante : « tout le monde veut boire moins alcoolisée. Et le marché américain montre que la piquette marche à fond » conclut le vigneron rhodanien, conseillant « de ne pas demander aux Douanes si l’on peut faire quelque chose, la réponse étant toujours non, mais de demander comment on peut le faire ».


Sollicitées sur cette possible solution d’un autre compte de production, les Fraudes indiquent ne pas se prononcer « sur un cas particulier sans avoir pu bien prendre connaissance du cas de figure dans ces moindres détails. C’est pourquoi nous vous invitons si vous le souhaitez à proposer au producteur de se rapprocher de la BEVS de sa région afin qu’il soumette son idée. » La DGCCRF note cependant que « pour les consommateurs à la recherche de produits vitivinicoles à faible degré, les "vins désalcoolisés" et les "vins partiellement désalcoolisés" devraient être définis » dans le cadre de la prochaine Politique Agricole Commune (même si un dissensus naît sur le sujet en Italie).
* : « Produit obtenu par la fermentation de marcs de raisins vierges macérés dans l'eau ou l’épuisement avec de l'eau des marcs de raisins fermentés » selon l’annexe II partie IV point 10 de ce règlement européen.