éjà dans l’avion le jour J à destination des Etats-Unis, Aurélien Piffaut, directeur de Famille Piffaut Vins & Domaines, n’a pas perdu une minute. « J’y passe 5 jours, avec 2 jours de salon à San Francisco, et ensuite 1 jour à Chicago et 1 jour à NYC, les marchés principaux », explique le dirigeant d’entreprise, qui chapeaute la marque emblématique de Crémant de Bourgogne, Veuve Ambal. Pendant ces vingt longs mois, il a eu à déplorer des difficultés pour faire de la prospection et des lancements de produits sans présence physique. « On a pallié avec la visio, mais cela ne remplace pas le présentiel ». La frustration était d’autant plus grande qu’Aurélien Piffaut se félicite d’un marché très porteur actuellement : « L’activité est très bonne avec les partenaires historiques et les gammes déjà bien implantées. Il y a une très bonne dynamique ».
Son avis est partagé par Olivier Rivain, directeur export USA auprès de la maison sancerroise Joseph Mellot, qui réalise 20% de ses exportations et 10% de son chiffre d’affaires outre-Atlantique : « Le marché américain se porte plutôt bien actuellement », confirme-t-il, tout en reconnaissant qu’après les "taxes Trump", 2022 apportera aussi son lot de challenges, dont la faible production française. D’ici là, la maison entend bien consolider sa « très belle place » aux Etats-Unis, marché prioritaire depuis dix ans, même si cela pourrait impliquer un changement durable de stratégie. « A l’instar de beaucoup de marchés, nous avons senti une baisse au début de la crise, puis une réorganisation du "on-trade" vers le "off". Nous sommes très présents en CHR, donc il a fallu faire un gros travail pour s’orienter davantage vers le secteur "off" ».


Quant à savoir si ce remaniement des marchés sera pérenne, Olivier Rivain met au défi quiconque de pouvoir prédire l’avenir : « Bien malin qui aurait pu prévoir une telle crise, donc on ne peut pas dire si cette réorientation sera durable. Je pense que les gens ont réellement envie de retourner au restaurant et qu’on verra nos volumes se redévelopper sur le CHR. Mais dans les états moins urbains, beaucoup de gens ont pris l’habitude de trouver les vins chez les détaillants et de consommer différemment ». Quoi qu’il en soit, le directeur export USA estime que la réouverture des frontières américaines est une très bonne nouvelle et il a programmé son retour pour la semaine prochaine : « Ça fait un bien fou de retourner aux Etats-Unis. Dès l’ouverture, on se rend tout de suite disponible. On le besoin et le devoir de retourner voir nos clients le plus rapidement possible ».
Son approche tranche avec celle de Jean Trimbach de la maison alsacienne éponyme : « Profondément, rien ne va changer, sauf que cela fait un an et demi qu’on n’y est pas allés. Il va juste falloir continuer à voyager et à répandre la bonne parole alsacienne aux Etats-Unis comme on le fait depuis 35-40 ans, à raison de cinq ou six voyages par an ». Premier exportateur de vins d’Alsace aux USA depuis 1978, la maison Trimbach est présente sur tout le territoire américain et y commercialise en moyenne 35 000 caisses par an, avec des ventes concentrées sur les côtes Est et Ouest. Pour Jean Trimbach, l’absence de présence physique sur ce marché important a été moins dommageable que l’impact de la crise sur la restauration.
« Nos ventes se font au moins pour les deux tiers en restauration. Les ventes en général se sont assez bien tenues parce qu’il y a eu un switch vers les cavistes, mais c’est surtout la restauration qui a souffert et a fait défaut. C’est particulièrement vrai dans les grandes villes et jusqu’à aujourd’hui, parce qu’il n’y avait pas de tourisme dans des villes comme New York. On devrait s’attendre maintenant à des mois de novembre et de décembre assez soutenus ». Soulignant que la situation était très disparate selon les états du fait d’une gouvernance sanitaire autonome, Jean Trimbach se montre confiant : « Les Etats-Unis ont cette chance qui est de rebondir assez vite. Après la crise financière de 2008, ils ont rebondi assez facilement et assez rapidement. Depuis quelques mois, il y a une certaine résurgence et petit à petit les restaurants rouvrent, même si ce n’est pas ce que c’était avant le Covid ». Quoi qu’il en soit, l’exportateur alsacien ne voyagera pas aux Etats-Unis avant février prochain. « Généralement, les importateurs et distributeurs ne veulent pas trop voir de personnes venir les "ennuyer" en fin d’année. Ils sont concentrés sur les ventes. Par contre, en février on pourra recommencer à faire des dégustations et à préparer l’ouverture des nouvelles cartes des vins pour l’année à venir ».
Dans tous les cas, les perspectives semblent bonnes pour 2022 selon Gabe Barkley, directeur de la société d’importation et de distribution MHW. « D'après nos données, la Nouvelle-Zélande, l'Italie et la France connaissent toutes des années extraordinaires. Le vin français dispose d’un héritage puissant au niveau mondial et reste très important et influent sur le marché américain aujourd'hui ».
La réouverture des frontières américaines ne signifient pas pour autant la fin des difficultés pour les exportateurs. Outre les très faibles disponibilités issues de la récolte 2021, qui se traduiront vraisemblablement par des hausses tarifaires, la logistique continue de représenter un casse-tête généralisé. Pour Aurélien Piffaut, « c’est un vrai problème, surtout pour la façade ouest », tandis qu’Olivier Rivain note des délais de paiement rallongés : « Les importateurs/distributeurs n’ont pas le vin pendant ce temps-là donc nous avons des règlements qui s’allongent un peu. Cela entraîne par ailleurs des complexités au niveau de la gestion des stocks ». De son côté, Jean Trimbach déplore le même phénomène : « On a les commandes pour la fin de l’année, mais les expéditions se font au compte-goutte du fait de ne pas pouvoir trouver les conteneurs adéquats. Il y aussi le temps de livraison – avant ça prenait un mois, maintenant ça prend deux mois ou deux mois et demi. Les fêtes asiatiques, comme le Nouvel An chinois, ne vont pas aider parce qu’ils auront certainement besoin de conteneurs. En février et mars, ces pays-là vont surconsommer donc je pense que la situation n’ira pas mieux avant le printemps ».