Franck Riester : C’était de rigueur ! Avec nos partenaires européens, nous avons beaucoup travaillé pour obtenir cet accord que nous souhaitions depuis longtemps. Le président de la République et le gouvernement ont été totalement mobilisés pour engager au plus tôt cette désescalade avec l’administration Biden. Des signaux encourageants étaient apparus dès la prise de fonction du Président Biden et lors de son audition au Sénat, la future ministre du Commerce, Katherine Tai, avait ainsi exprimé clairement son souhait de voir le dossier Airbus-Boeing « atterrir ».
La suspension mutuelle des surtaxes n’a donc pas vraiment été une surprise, et c’est une excellente nouvelle pour la filière viticole, pour qui le marché américain est souvent le premier débouché à l’export.
Cet accord prouve par ailleurs que notre stratégie de fermeté était la bonne. Pour se faire respecter, il faut parfois taper du poing sur la table. En imposant ses propres surtaxes sur les produits américains dès que l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) nous l’a permis en novembre, sans attendre la prise de fonction de la nouvelle administration, l’Union européenne a rétabli un rapport de forces qui va maintenant nous permettre de négocier sur un pied d’égalité avec les États-Unis pour solder définitivement le contentieux Airbus-Boeing. Ce choix, nous l’avons fait en refusant toujours d’entrer dans la logique de l’escalade tarifaire : à toutes les étapes, nous avons tendu la main aux États-Unis. Ils l’ont enfin saisie, et nous nous en réjouissons tous.
Soulagés d’échapper pour quatre mois aux surtaxes américaines, les exportateurs de vins et spiritueux français peuvent-ils prendre pour acquis que le conflit Airbus/Boeing ne les concernera plus à l’avenir ?
Attention, cet accord est un cessez-le-feu, pas un traité de paix. Concrètement, cela signifie que les surtaxes de 25 % seraient rétablies à l’identique à l’issue du moratoire de quatre mois, si les États-Unis et l’Union européenne ne parvenaient pas d’ici là à mettre un point final au contentieux Airbus-Boeing. Dans les faits cependant, personne, d’un côté ou de l’autre de l’Atlantique, n’a intérêt à ce que nous retombions dans la surenchère. Seule la Chine y serait gagnante, qui subventionne massivement son industrie aéronautique au détriment d’Airbus comme de Boeing pendant que nous nous épuisons dans un affrontement stérile. Nos partenaires américains sont conscients que le véritable enjeu est aujourd’hui de proposer de nouvelles règles pour encadrer le soutien public à l’aéronautique et contrer les pratiques déloyales.
Êtes-vous confiant dans le règlement en 4 mois d’un conflit durant depuis 17 ans ?
Maintenant que les taxes sont temporairement suspendues, il faut bien sûr transformer l’essai. Je suis optimiste. Le délai est court, mais je crois que la pression du temps peut être utile pour obtenir des résultats. D’autant que nous ne partons pas de zéro, et que les choses s’accélèrent depuis quelques mois. Des propositions sont d’ores et déjà sur la table. Les négociations ne seront pas faciles, mais la fenêtre d’opportunité s’est ouverte et je suis convaincu que la raison prévaudra.
Concrètement, à partir de quand la suspension des droits de douanes de 25 % s’applique-t-elle dans les ports américains pour les vins et spiritueux français ?Depuis le 11 mars, c’est chose faite ! Ces surtaxes de 25 %, qui avaient représenté un manque à gagner de plusieurs centaines de millions d’euros pour la filière en 2020, sont désormais suspendues. C’est le moment de repartir à plein régime à la conquête du marché américain.
Conseillez-vous aux opérateurs français de faire des stocks sur le marché américain en cas de remise en place des taxes en juillet ? De nouveaux dispositifs vont-ils être ajoutés au plan de relance Export pour soutenir les expéditions françaises sur le marché américain et regagner des parts de marché ?C’est le sens de la e-vitrine sectorielle tastefrance-wineandspirits.com, que nous avons relancée début février. Nous avons également pris en compte les nouveaux besoins de recrutement qui se sont fait jour, et, avec les représentants de la profession, nous allons proposer une offre inédite de Volontariat International en Entreprise (VIE) conçue pour la filière, à destination de marchés internationaux de poids. Il s'agit d'une mission de deux ans pour un jeune, dont le travail est entièrement tourné vers la filière et ses besoins à l'export, mission intégralement financée dans le cadre de France Relance. Ce dispositif ad hoc complètera le soutien transversal au VIE que nous amplifions en finançant 3 000 Chèques VIE de 5 000 € pour les PME et ETI.
Dans les prochains mois, nous lancerons par ailleurs une campagne de communication massive sur l’excellence des savoir-faire et des produits français autour de la marque France. Sa déclinaison sectorielle, Taste France, que vous connaissez bien, sera naturellement le porte étendard de la filière viticole !
Le gouvernement français soutient-il toujours la demande de création d’un fonds de compensation à la Commission Européenne ? Avez-vous eu une réponse à votre courrier, commun avec les ministres de l’Agriculture et de l’Économie ?
Avec Bruno Le Maire et Julien Denormandie, j’ai adressé à la Commission un courrier demandant davantage de solidarité européenne pour la filière. J’ai une nouvelle fois rappelé l’importance du secteur viticole en France lors de mon audition conjointe avec le Commissaire Valdis Dombrovskis à l’Assemblée nationale le 9 mars dernier.
Nous continuons évidemment à travailler sur l’accompagnement de la filière, en complément des dispositifs nombreux annoncés en janvier dernier y compris dans le cadre de la crise sanitaire. Notre demande de création d’un fonds de compensation est donc toujours d’actualité.
Comment la France peut-elle s’assurer que son vignoble ne sera plus visé à l’avenir par des conflits commerciaux qui lui sont extérieurs ?
Vous avez raison : les viticulteurs ont été la victime collatérale du contentieux Airbus-Boeing. Nous allons maintenant Å“uvrer pendant les quatre prochains mois pour parvenir au règlement définitif du contentieux. Nous ne voulons pas que les vins et spiritueux soient à nouveau la cible de taxes alors qu’ils ne sont pas concernés par ce différend.
La viticulture est l’un des secteurs les plus emblématiques de notre pays, c’est l’une des locomotives de notre commerce extérieur, et la tentation est malheureusement forte, lorsque la tension monte, de cibler des secteurs qui ont un poids économique et symbolique particulier. C’est la raison pour laquelle nous restons pleinement mobilisés aux côtés de la filière, comme nous l’avons été tout au long de cette période particulièrement éprouvante.
Sans attendre, nous allons continuer à renforcer les instruments européens pour nous défendre contre les pratiques déloyales ou coercitives et dissuader nos partenaires de s’engager dans cette voie.
Nous ferons tout pour éviter que les vins et spiritueux soient une nouvelle fois injustement frappés.