Certains qualifient les vins sud-africains de bon marché. C’est faux. Ils offrent un très bon rapport qualité-prix, ce n’est pas la même chose », pose, d’emblée Bernard Fontannaz, lors d’une conférence organisée par le salon World Bulk Wine Exhibition qui se tient jusqu’au 4 décembre en format digital. Originaire de Suisse, Bernard Fontannaz est à la tête d’une société qui commercialise quelque 100 millions de litres de vins sud-africains, mais aussi argentins, chiliens, australiens, français, italiens et espagnols, principalement pour la consommation à domicile, à la fois sous des marques à succès comme Stormhoek, et sous marques de distributeurs et « private labels ». Autant dire qu’il est bien placé pour faire un diagnostic de la filière sud-africaine, qui se remettait de la sécheresse lorsqu’elle a été frappée par la Covid avec son lot d’embargos, y compris l’impossibilité d’exporter pendant des mois. « Autant la récolte ne nous a pas posé de problèmes, autant l’interdiction de transporter du vin à l’intérieur du pays nous a empêché, de fait, d’exporter. Chez Origin Wines, nous avons perdu 25% de nos ventes pendant les six premiers mois de l’année ». S’appuyant sur un modèle d’entreprise « léger et agile », la société a pu rattraper ses pertes depuis, et espère terminer l’année à +10 ou +15%, grâce à la croissance à deux chiffres affichée par les grands distributeurs. « Tout en restant prudent, je suis optimiste quant à notre capacité en Afrique du Sud de gérer nos stocks. Certes, les stocks exercent une pression sur le marché, mais partout on observe une envolée des ventes pour la consommation à domicile ». Mais pour l’Afrique du Sud, ne serait-ce pas plutôt un répit à court terme, les difficultés de fond restant à surmonter ?
« Chaque jour on entend dire en Afrique du Sud qu’il faut réduire la superficie de notre vignoble – actuellement de 90 000 ha – d’une vingtaine de milliers d’hectares. Ces vins ne se vendent pas parce qu’ils sont trop génériques, pas assez différenciés et sans valeur ajoutée ». Tout en reconnaissant que beaucoup de viticulteurs se reconvertiront à d’autres cultures, ou secteurs d’activité, plus rentables, Bernard Fontannaz affirme que « si ce sont des agriculteurs professionnels, qui plantent les bons cépages sur les bons terroirs et pour les bons marchés, ils peuvent être très rentables et très bien gagner leur vie ». La problématique actuelle tient donc plutôt du fait que le colombard et autres chenin ne trouvent pas d’acheteurs et se voient remplacer au niveau mondial par des vins blancs de cépages plus prisés, et souvent moins chers. « Nos blancs sont mis à l’épreuve, ils ne sont pas imbattables au niveau prix », reconnaît-il. « Mais si nous plantions, par exemple, davantage de sauvignon blanc – et nous avons la capacité d’élaborer d’excellents sauvignons à mi-chemin entre le profil Nouveau et Ancien Monde – nous pouvons nous attaquer au segment des 6-8£ (6,65-8,85 €) qui est très viable ».
Autre porte de sortie à envisager, selon Bernard Fontannaz, pour quitter la spirale infernale des déréférencements provoqués par la hausse des prix en 2018 : les vins bios. « Une offre en bio nous rend moins dépendants et sensibles aux effets cycliques du marché du vrac, puisque nous devenons moins facilement remplaçables ». Mais au-delà de cet avantage, c’est la pérennité de la filière, et de la planète qui est en jeu. « Le premier point, c’est que nous devons sauver notre planète, cela relève de notre responsabilité. Le deuxième, c’est que de nouveaux consommateurs, plus jeunes, sont beaucoup plus sensibles à l’environnement, et nous devons capitaliser sur ce créneau porteur ». Pionnier des vins sud-africains labellisés Fairtrade – « qui assume toute son importance en Afrique du Sud » - Origin Wines a lancé l’initiative « Love our planet ». Chaque cuvée arborera une certification, que ce soit commerce équitable, bio, développement durable (IPW) ou le label éthique Wieta. Défenseur engagé du développement durable – y compris à travers la mise en bouteille en Afrique du Sud pour préserver des emplois - Bernard Fontannaz n’en est pas moins un fin stratège commercial. « La question, c’est comment se rendre et rendre ses vins en vrac plus pertinents sur le marché mondial et le bio représente l’une des solutions ». Plus globalement, il estime qu’au cours des 18 prochains mois l’Afrique du Sud doit inverser la tendance : « Quand vous perdez des places en linéaire, vous entrez dans un cercle vicieux. Nous devons sortir de cette spirale à la baisse, et le vrac nous permet d’y parvenir rapidement et de braquer de nouveau les projecteurs sur l’Afrique du Sud ».