u bio dans le gaz. « Osons la mixité bio et conventionnel dans une exploitation ! » lance Bernard Farges ce 15 juillet, lors de l’assemblée générale du Conseil Interprofessionnel du Vin de Bordeaux (CIVB) qu’il préside (ainsi que la Confédération Nationale des vins AOC, la CNAOC, et son pendant européen, EFOW). Portant cette position depuis plus d’un an*, le viticulteur bordelais demande de nouveau à remplacer la mixité temporaire actuelle (cinq ans au maximum, avec une distinction entre blancs et rouges pendant la période de conversion) par un raisonnement d’« ilots culturaux, [ainsi] nous verrons un grand nombre d’entreprises passer au bio sur une partie de leur vignoble ». Espérant que cette proposition fasse « disparaître le débat stérile entre bio et conventionnel », Bernard Farges semble avoir obtenu l’effet exactement inverse.
« La mixité "sans bornes", c’est à nos yeux la voie de la facilité » rétorque Laurent Cassy, le président du Syndicat des Vignerons Bio de Nouvelle Aquitaine (SVBNA), dans une lettre ouverte datée du 30 juillet (voir encadré ci-dessous). « Seule cette rigueur [réglementaire] garantit la réussite technique, la pérennité économique, le bien-vivre du vigneron agronome, et la reconnaissance de nos clients. Tentez d’y toucher, et vous nous trouverez, […] systématiquement en travers de votre chemin » prévient le vigneron girondin.
Jugeant illégitime et unilatérale la demande portée par le président du CIVB, les vignerons bio demandent une discussion technique avant toute annonce et proposition réglementaire. S’appuyant sur son expertise, le SVBNA rappelle que la réglementation européenne interdit la mixité (article 40 du règlement communautaire 889/2008), avec une dérogation pour les produits distinguables à l’œil nu. Ce que le guide d’interprétation français traduit pour la vigne par « la couleur de cépage (rouge ou blanc) est un critère de différenciation retenu pour les raisins de cuve ou de table ».
Rappelant que le règlement bio a déjà demandé d’intenses négociations entre états membres européens et filières agricoles pour aboutir à sa forme actuelle, Laurent Cassy indique à Vitisphere qu’« il y a déjà une période de mixité pour les exploitations qui ont besoin de temps pour leur conversion, mais au bout de cinq ans tout en bio. Il n’y a aucun intérêt à marier bio et conventionnel. Vouloir d’une agriculture biologique arrangée à sa sauce témoigne d’une incompréhension des demandes du consommateur. »


Se défendant de tout réflexe protectionniste pour ses producteurs historiques, la filière bio indique que son le principal enjeu reste de maintenir son attractivité commerciale avec l’arrivée de nouveaux convertis. Et pour le président des vignerons bio d’Aquitaine, « personne ne demande la mixité, à part Bernard Farges. C’est un sujet pour ceux qui sont en conversion. On se rend compte que le CIVB se dit que les vins bio sont une poule aux œufs d’or et qu’il serait bien de pouvoir faire un peu de bio avec du conventionnel… » Alors que le vignoble bordelais fait face à une crise commerciale inédite, les vins bio tirent en effet leur épingle du jeu, les négociants étant bien en peine de trouver les approvisionnements suffisants. D’après les dernières cotations du CIVB, le tonneau de Bordeaux rouge conventionnel se négocie moins de 1 000 euros, quand celui certifié bio dépasse 2 000 €.
Estimant que le saupoudrage n’est pas adapté au vignoble bio, Laurent Cassy souligne position partagée par d’autres instances de la viticulture bio, qui doivent prochainement exprimer leur position. Alors que le CIVB indique à Vitisphere ne pas souhaiter commenter ce sujet, les déclarations de son président mi-juillet continuent de résonner dans le vignoble bio. « Tout le monde connaît l’hypocrise dans laquelle nous plonge l’actuelle réglementation bio. De nombreuses entreprises se débrouillent pour contourner ce règlement alors que la mixité existe déjà » dénonce Bernard Farges.
Regrettant des accusations graves, Laurent Cassy souligne qu’« on voit aujourd’hui des gens détourner la législation avec la création de sociétés. Ce n’est pas un problème bio, mais du législateur. Il faut interdire cette mixité permise par des montages juridiques. » Martelant son souhait d’un dialogue constructif et respectueux, le vigneron de l’Entre-deux-Mers souligne que « tous les feux sont au vert pour la consommation de vin bio, il faut arrêter d’être frileux et y aller. En prenant des mesures fortes pour que Bordeaux retrouve son positionnement de leader. [Par exemple] en interdisant le glyphosate. »
* : Notamment le premier février, lors de l’assemblée générale du syndicat des Bordeaux et Bordeaux Supérieurs qu’il présidait alors. Bernard Farges indiquait alors porter sa demande de mixité bio auprès du ministère de l’Agriculture.
Extrait du discours de Bernard Farges ce 15 juillet à la Cité du Vin :
« Osons la mixité bio et conventionnel dans une exploitation ! Tout le monde connaît l’hypocrise dans laquelle nous plonge l’actuelle réglementation bio. De nombreuses entreprises se débrouillent pour contourner ce règlement alors que la mixité existe déjà. Elle est traduite par 100 % blanc ou 100 % rouge sur une exploitation. Mais si nous raisonnons cette mixité par ilots culturaux, nous verrons un grand nombre d’entreprises passer au bio sur une partie de leur vignoble. Nous ferons disparaître le débat stérile entre bio et conventionnel. Nous assurerons surtout un développement rapide de l’offre bio. Pour cela, laissons faire les viticulteurs, ils mèneront leurs propres expériences, et nous éviterons de dépenser des fortunes en accompagnement. »
Lettre ouverte de Laurent Cassy, datée du 31 juillet à Montagne :
« A Bernard Farges
Président du CIVB
Monsieur le Président,
Cher Bernard,
L’ensemble de la filière Vin Bio a lu avec beaucoup d’attention le discours que vous avez tenu le 15 juillet dernier lors de l’Assemblée générale de l’Interprofession des vins de Bordeaux, que vous présidez. Vous plaidez, dans ce discours, pour l’audace. Il s’agirait désormais d’être offensif, pour sortir de la crise. Et d’oser, notamment "la mixité bio et conventionnel dans une exploitation", pour assurer "un développement rapide de l’offre bio".
Il est effectivement audacieux que le CIVB se préoccupe désormais de la filière vin bio, après avoir expliqué pendant des années que l’agriculture biologique ne relevait pas de votre champ de compétences. Y compris, d’ailleurs, sur la question des rendements, qui nous a opposé ces dernières semaines…
Nous ne manquerons pas de nous réjouir, le cas échéant, de ce très nouvel intérêt, dès que l’interprofession nous aura expliqué la place de la Bio en son sein. Nous aimerions notamment comprendre quelle gouvernance vous donne aujourd’hui la légitimité de vous exprimer sur ces sujets, en dehors de tout échange un peu sérieux avec les instances Bio – que vous connaissez pourtant fort bien.
Quoi qu’il en soit, je me demande si c’est bien l’audace qui vous pousse aujourd’hui à dénoncer "l’hypocrisie dans laquelle nous plonge l’actuelle réglementation bio", cette réglementation qui interdit, par principe, la mixité bio/conventionnel ? N’est-ce pas plutôt la frustration de ne pas réussir à "renverser la table"* qui guide vos propos ?
C’est une frustration qui nous est familière. Elle est assez courante chez les vignerons conventionnels qui viennent d’entamer leur conversion vers l’agriculture biologique.
Pour les vignerons qui ne connaissent pas encore bien ce mode de production, la réglementation Bio est parfois vue comme trop contraignante : la conversion dure trop longtemps, s’autoriser un ou deux pesticides chimiques de synthèse, de temps en temps, faciliterait grandement la vie…Enfin, pourquoi ne pas conserver une (grande) partie de l’exploitation en conventionnel, et ne convertir que quelques parcelles en bio, "pour voir", "parce qu’il y a un marché pour ça" ?
En posant ces questions, les "jeunes" convertis font preuve d’une audace (oserais-je dire d’une naïveté ?) que les "anciens" que nous sommes avons appris à tempérer.
La réglementation Agriculture Biologique est une réglementation européenne, patiemment négociée, depuis 30 ans (1989), pour l’ensemble des filières agricoles, désormais des 26 Etats membres. C’est donc un jeu complexe, vous en connaissez les arcanes pour les pratiquer, mais qui dépasse le seul champ de la viticulture.
Ce jeu repose sur un principe simple : l’attente du consommateur, la confiance qu’il a dans la bio, doivent être respectées, choyées, entretenues, renforcées. C’est à cette condition, et à cette condition seulement, que la Bio peut se développer. Tout notre système repose sur la confiance du consommateur : abimons-la, et la "poule aux oeufs d’or" que semble représenter pour vous désormais la filière vin bio disparaît. L’histoire de Bordeaux, et la crise dans laquelle se débat la filière conventionnelle, en est le miroir inversé.
Une autre raison justifie que cette règlementation Bio, patiemment élaborée, interdise la mixité bio/conventionnel au-delà d’une période de 5 ans. Cette coexistence, si elle devait durer ad vitam aeternam, condamnerait le vigneron qui la pratique à concilier des injonctions paradoxales. Car convertir son exploitation en Bio, ce n’est pas simplement remplacer un produit phytosanitaire par un autre. Cela va bien plus loin. Il s’agit de réfléchir les équilibres naturels, d’envisager son exploitation viticole dans sa globalité, incluant le sol, la plante, la biodiversité environnante, les hommes qui y travaillent, le voisinage. Passer en Bio, c’est une aventure enthousiasmante. Et complexe. La réglementation européenne Bio l’a bien compris, qui donne 5 ans au vigneron pour convertir l’intégralité de son exploitation. Et croyez-moi, 5 ans, cela peut être long, notamment quand il faut adapter son discours face à ses acheteurs (« j’ai des vins bio, mais aussi des vins conventionnels »), gérer des lots bio et conventionnels dans son chai, etc. L’expérience nous montre que cette durée de 5 ans est souvent réduite, d’ailleurs, par le vigneron lui-même. Une fois qu’on a gouté à la Bio, qu’on a compris ce qu’elle nous apporte, qu’elle nous a réconcilié avec le noble métier de vigneron, on ne souhaite pas rester écartelé entre deux modes de production, entre deux philosophies. On n’a plus peur, non plus, de se lancer.
Pour combattre la peur – car c’est finalement de ça dont il s’agit, l’accompagnement technique est précieux. Je suis en profond désaccord lorsque vous écrivez : « laissons faire les viticulteurs, ils mèneront leurs propres expériences, et nous éviterons de dépenser des fortunes en accompagnement ». Nous avons travaillé de concert, il y a quelque temps, cher Bernard, pour défendre le dossier cuivre. Vous n’ignorez pas que la Nouvelle-Aquitaine est une région soumise à une forte pression mildiou. Le passage en bio est possible, mais délicat. Priver les viticulteurs qui souhaitent se convertir à la Bio de tout accompagnement technique, c’est risquer des échecs qui mettront en cause la pérennité économique de leurs exploitations. Etes-vous, ce faisant, en train d’organiser un vignoble à l’espagnol, avec des exploitations Bio avoisinant les 600 hectares ? Un vignoble bordelais où les plus faibles seraient rachetés par leurs voisins ? Est-ce la raison pour laquelle l’interdiction de la mixité vous gêne tant ? Est-ce pour pousser la "Haute Valeur Environnementale", qui autorise - malgré son nom - le désherbage en plein, que l’on organiserait l’échec technique de la bio en Gironde ? Où se loge vraiment "l’hypocrisie" que vous dénoncez ?
Vous expliquez enfin que "de nombreuses entreprises se débrouillent pour contourner ce règlement" bio. Vous êtes, Monsieur le Président, coutumier des petites provocations orales, qui savent réveiller l’assistance. On se souvient tous, je crois, du surnom de "khmers verts" dont vous nous avez affublés lors d’une précédente Assemblée générale. Le temps n’est plus à rire. En choisissant de coucher par écrit vos propos, en affirmant que « de nombreuses entreprises se débrouillent pour contourner ce règlement » bio, vous franchissez, à mes yeux, la limite de la légalité. Ces propos diffamatoires et dénigrants relèvent des instances judiciaires.
Ils sont aussi une insulte à la filière bio. Les vignerons bio ont choisi une voie exigeante, celle du respect de la planète, des terroirs, et du travail des hommes. Ils ont construit patiemment, avec le plus grand sérieux une filière forte, solidaire, attachée à ses valeurs. Souvent dans la plus grande indifférence des organisations professionnelles comme celles que vous présidez.
Chaque année, les vignerons bio produisent malgré les caprices de la nature, des vins de grande qualité, respectueux des terroirs. Ils inventent un nouveau modèle économique, dans lequel le respect de l’environnement, la sincérité du vigneron, le goût du vin ont un prix, qui permet au producteur de vivre de son travail. Un système dans lequel le consommateur est roi. Et pas un gogo à qui l’on pourrait vendre un énième logo, histoire de prendre une place sur un linéaire, à n’importe quel prix.
C’est cette si jolie filière bio que rejoignent tous les ans des centaines de vignerons conventionnels, en Gironde. Ces vignerons ont compris que la réglementation exigeante que vous souhaitez affadir est, en vérité, la garante de leur succès. La rigueur réglementaire Bio ne les empêche pas de franchir le cap. Eux le savent : seule cette rigueur garantit la réussite technique, la pérennité économique, le bien-vivre du vigneron agronome, et la reconnaissance de nos clients. Tentez d’y toucher, et vous nous trouverez, Monsieur le Président, systématiquement en travers de votre chemin.
La mixité "sans bornes", c’est à nos yeux la voie de la facilité, Monsieur le Président. A cette facilité séduisante, nous, Vignerons Bio Nouvelle Aquitaine, préférons l’authenticité d’une démarche exigeante. Exigeante non pas au sens conservateur, figé, d’une démarche engoncée dans ses certitudes, limitée à une "niche" de vignerons arqueboutés sur des normes excluantes… Non, Monsieur le Président, exigeante parce que restant ouverte sur le monde, dans un souci d’écoute et de construction collective, dans l’objectif ambitieux de répondre aux vraies problématiques humaines et environnementales du monde à venir.
La filière mérite mieux que le « débat stérile entre bio et conventionnel » que vous attisez. En début d’année, à l’occasion des vœux que j’adressais à la filière vin bio, j’invitais mes collègues bio à considérer la viticulture comme une grande famille. Et à garder la tête froide. Faisons de même, Monsieur le Président. »
* : Dans son discours ce 15 juillet, Bernard Farges a cité le nouveau maire de Bordeaux, l'écologiste Pierre Hurmic, qui indique ne pas être là pour renverser la table, mais pour la réparer.