ans votre revue Partenaires, destinée aux vignerons qui travaillent avec Moët & Chandon, vous invitez la Champagne à expérimenter son futur. Sur quels axes ?
La Champagne va devoir travailler sur trois points essentiels qui sont l’adaptation au changement climatique, les enjeux environnementaux et les coûts de production au vignoble. Le temps s’accélère, notre écosystème évolue plus vite qu’avant. Il faut aller vite !
Que proposez-vous ?
Je propose que chaque viticulteur et chaque négociant qui a des vignes puisse tester de nouvelles techniques sur 2 à 3 % de son vignoble. Sa déclaration de récolte serait la même, mais ces raisins ne seraient pas inclus dans l’AOC Champagne. Pour y parvenir il faudrait que le cahier des charges de notre AOC autorise d’expérimenter sur une surface donnée, identifiée, et en précisant la nature de l’expérimentation. L’idée n’est pas de faire n’importe quoi, mais de faire avancer notre viticulture. Je souhaite la mise en place d’un espace de liberté surveillé par l’interprofession.
La Champagne prend du retard ?
Oui, sous couvert de respect des traditions, on est dans l’immobilisme. Regardez le dossier des vignes semi-larges (VSL). Cela fait vingt ans qu’on cultive des VSL sur plusieurs sites, en relation avec l’interprofession. Les vins issus de ces vignes ne présentent pas de différence gustative. Ce mode de conduite nous permettrait de diminuer significativement nos coûts de production. Pourquoi n’autorise-t-on pas les VSL à ceux qui le souhaitent ? C’est du ressort du syndicat général des vignerons d’avancer sur ce dossier. Le problème, c’est qu’il y a une minorité qui parle fort et qui a le pouvoir. Il ne faut pas attendre d’avoir 100 % de personnes d’accord pour avancer !
Quels sont les principaux freins au changement ?
Pour faire des expérimentations, nous sommes soumis à des autorisations de multiples administrations. Et il y en a toujours une qui refusera l’essai. Il faut faire sauter les verrous. Et aller vite car les italiens, les Suisses ou encore les Allemands sont dynamiques et créatifs. La réforme de l’Inao en 2007 a figé le vignoble. Mais la Champagne, comme d’autres vignobles, existait avant l’Inao ! Libérons les énergies du terrain !
Quels essais aimeriez-vous mener ?
J’aimerais tester des cépages résistants italiens. Nous avons besoin d’expérimenter sur le matériel végétal. On pourrait aussi tester des cépages blancs méridionaux qui ont des maturations plus lentes. En vingt ans, nous avons avancé notre date de vendanges de trois semaines et gagné 1,5 ° de maturité. C’est plutôt mieux pour la qualité mais on va atteindre rapidement notre point de rupture. Il faut rapidement avancer sur ce dossier. Nous allons prochainement inaugurer à Oiry un centre de R&D qui portera sur l’adaptation au changement climatique et sur les attentes des consommateurs. Cela sera un centre de recherche mondial, qui centralisera les expériences réalisées ou observées par le groupe MHCS (Moët Hennessy Champagne et Services) dans les différents pays où nous sommes présents (France, USA, Brésil, Inde, etc).
Et la machine à vendanger ?
Nous sommes évidemment pour des essais de vendange mécanique. Cela ne doit pas être un sujet tabou. Je ne suis pas sûr que nous puissions longtemps assumer des vendanges qui coûtent entre 0.50 et 0,80 €/kg ! La Bourgogne, le Bordelais et la plupart des autres vignobles ont recours à la machine. Pourquoi pas la Champagne ? Rien n’est immuable. Il y a 150 ans, le chardonnay n’existait pas en Champagne. Maintenant, c’est le cépage roi !
Vous semblez critique sur le travail du sol…
Oui, le travail du sol est coûteux, engendre de la pénibilité et détériore le bilan Carbone. Mais je prône le zéro herbicide, qui sera la règle en 2021 sur les 1200 ha cultivés par Moët & Chandon. Nous avons passé beaucoup de temps à travailler sur des outils de travail du sol. Et maintenant, nous allons passer beaucoup de temps à nous en passer ! Nous travaillons depuis deux ans sur l’implantation de couverts végétaux.