e constat est unanime parmi les techniciens de la vigne : la pression sanitaire est globalement restée faible sur la saison 2017. Mais ce soulagement n’aura été que passager. Alors que la pourriture grise se développe, après les pluies de la rentrée, l’expression forte de l’esca alarme dans de nombreux vignobles. Actuellement, le seul chiffre disponible concerne Cognac. Lors de la véraison, l’interprofession a estimé que 10,3 % des pieds analysés exprimaient des symptômes d’esca*. Ce qui fait de 2017 la deuxième plus forte année d’expression depuis les premiers comptages de 2001 (en deçà des 12 % de 2012).
Si les chiffres attestent de l’importance de la contamination, leur explication est bien plus délicate. « L’esca n’est pas une maladie, c’est un symptôme. Qui est en partie dû à la météo, aux champignons, à l’état de la plante… », esquisse Gérald Ferrari, directeur adjoint de la Station Viticole charentaise. « À part dire qu’en 2017 les conditions extrêmes ont sensibilisé la plante » indique-t-il, le technicien est bien désemparé pour expliquer cette explosion ressentie dans le reste du vignoble national.
Cette surexpression est aussi bien ressentie dans les vignes d’Alsace, que du Jura et de Bourgogne « plus sur chardonnay que sur pinot noir »,confirme Massimo Giudici, maître tailleur pour Simonit & Sirch. Son collègue Tommasso Martignon fait également état de symptômes hors de l’ordinaire sur le vignoble bordelais : « à Sauternes, c’est la première fois que l’on constate une forte expression d’esca sur certaines parcelles de sémillon blanc. Un cépage normalement résistant. »
En Loire, « le sauvignon blanc exprime beaucoup la maladie cette année. Même les cépages plus résistants comme le pinot extériorisent beaucoup plus » renchérit François Dal, conseiller viticole au Service Interprofessionnel de Conseil Agronomique, de Vinification et d'Analyses du Centre (SICAVAC). Référence en la matière, le technicien de Sancerre glisse qu’il n’avait jamais vu une telle expression de sa carrière (sauf sur les vignobles adaptant leurs pratiques, voir encadré).
« Ces symptômes en hausse ne se trouvent pas sur tous les vignobles » pondère le chercheur nîmois Philippe Larignon (Institut Français de la Vigne et du Vin). L’expert a ainsi constaté une baisse des symptômes sur des parcelles de Bourgogne et du Sud-Est. Prenant également des pincettes, le chercheur bordelais Pascal Lecomte (Institut National de la Recherche Agronomique) confirme une expression forte. Tout en avançant quelques hypothèses pour expliquer cette année atypique. Selon lui, l’irrégularité des apports en eau pourrait expliquer cette explosion de l’esca.
« Les expressions sont souvent supérieures sur des parcelles très humides au printemps et sèches l’été. La contrainte hydrique forte semble être une condition favorisant l’expression sur les pieds infectés, l’hypothèse étant confirmée par des dysfonctionnements vasculaires » esquisse Pascal Lecomte. « Quand il y a le plus d’esca, c’est en général après un printemps poussant suivi d’un coup de sec » confirme François Dal.


Assailli de coups de fil provenant de toute la France, François Dal témoigne du désarroi autant de l’angoisse qui étreint le vignoble. À l’heure de petites vendanges marquées par le gel, les pertes supplémentaires de rendement affectent d’autant plus qu’elles annoncent d’importants dépérissements. « Pour la première fois, des vignerons se rendent compte qu’ils ne pourront pas se contenter d’arracher et de complanter. Face à l’étendue de l’impact, ça ne passera pas cette année. À la fois en termes de temps de travail et de coûts » témoigne le technicien de Sancerre. Ces sollicitations sont également ressenties par Tommasso Martignon, qui estime que « pour ceux voulant agir, il y a moyen de conserver le système racinaire avec un regreffage, un curetage classique, un curetage avec recépage… »
L’évolution des pratiques viticoles est impérative pour Pascal Lecomte. Selon lui, l’esca tient de la « maladie sanction ». Une forme de punition « par rapport aux soins qu’il faudrait apporter à la vigne, une liane qui est conduite comme un arbuste » estime-t-il. Cette hausse généralisée des maladies du bois tient pour lui à trois causes : « la filière a sous-estimé les effets du changement climatique. Le bond de la demande mondiale de plants de vignes en 1995-2005 a conduit à une production et des plantations dans des conditions loin d’être idéales. Et la simplification à l’extrême des systèmes de taille a aggravé le tout. »
* : Et 5 % sont victimes d’eutypiose.
Toutes les parcelles ne sont pas égales face aux maladies du bois rapporte François Dal. « On se rend compte des différences entre vignerons. Pour ceux rigoureux, qui curettent, regreffent ou arrachent dès les premiers symptômes, il n’y a pas plus de symptômes que d’habitude en 2017. Ce qui n’est pas le cas pour ceux qui gardent des pieds légèrement malades en espérant qu’ils reprennent » rapporte le conseiller viticole de la SICAVAC.