025, millésime de précocité au vignoble, avec des raisins ramassés depuis août, et de précipités au gouvernement, où l’instabilité politique n’attend pas l’examen des textes budgétaires cet automne. Alors que le premier ministre François Bayrou se soumet ce lundi 8 septembre à un vote de confiance de l’Assemblée Nationale qui s’annonce perdu d’avance, la filière vin demande à l’exécutif d’anticiper pour éviter de nouveaux délais incompatibles avec l’urgence de la crise qui s’accentue. Pour se donner les moyens d’arracher et de distiller comme demandé le 15 juillet par les représentants du vignoble à la ministre de l'Agriculture, Annie Genevard, « je ne comprends pas pourquoi la France n’a pas demandé la réserve de crise agricole » relève Jérôme Despey, le président du conseil spécialisé vin de FranceAgriMer, pour qui « il faut que la réserve de crise soit demandée avant le 8 septembre pour être prêts lors de la validation du paquet vin », la nouvelle réglementation européenne ouvrant des dispositifs de gestion structurelle des excédents par l’arrachage et la distillation. Alors que d’autres pays européens demandent la mobilisation de ces réserves (dotées annuellement de 450 millions €), « je regrette que notre demande n’ait pas été portée par le gouvernement français plus tôt » soupire Jérôme Despey, qui indique cependant que des échanges avec Matignon et le ministère de l’Agriculture viennent d’aboutir à un engagement de demande européenne avant le 8 septembre.
Paris-Bruxelles
« Jusqu’à présent la Commission européenne n’a pas reçu de demande officielle de la France » confirme à Vitisphere un fonctionnaire de Bruxelles, pointant que « la viticulture européenne est confrontée à des défis sans précédents, c’est pourquoi la Commission a toujours été aux côtés des États. De nombreux dispositifs existent, et c’est le rôle premier des fonds relevant de la Politique Agricole Commune (PAC). D’autres outils peuvent être mobilisés, sous certaines conditions, pour soutenir le secteur face à la crise. C’est notamment le cas des aides d’État, par exemple lorsque la Commission a donné son feu vert en mai 2024 au Fonds d’urgence de 80 millions d’euros du ministère de l’Agriculture – sur le fondement du Cadre Temporaire de Crise et de Transition », soutenant les vignerons touchés par les aléas climatiques.


Alors que la France vient d’achever cet été un plan d’arrachage définitif (finalement 25 500 hectares sur les 27 500 ha demandés en 2024), un sondage doit être lancé mi-septembre pour permettre aux viticulteurs de déclarer leurs intentions d’arrachage, définitif et temporaire*, ainsi que de distillation, dans le cadre des biocarburants** avec la possibilité d’un complément par couplage entre distillation d’un volume donné et arrachage d’une surface équivalente. Pour mener une campagne d’arrachage et de distillation rééquilibrant la filière des vins français, il faudrait obtenir « a minima » 200 millions d’euros de crédits de réserve de crise agricole sur les deux prochaines campagnes (2024-2025 et 2025-2026, chacune bénéficiant de 450 millions €) à compléter avec un « budget équivalent de l’État » avance Jérôme Despey, pour qui « il faut obtenir le maximum » et l’adosser à des crédits nationaux pour déployer un dispositif efficace. Sachant qu’il sera lié à la validation du paquet vin, attendu cette fin d’année.
« Le moment est venu pour l’Europe de répondre présente. La réserve de crise est conçue pour des perturbation de marché, ce que nous vivons aux États-Unis depuis 15 jours avec 15 % de droits de douane auxquels s’ajoute un taux de change défavorable » rappelle Jérôme Despey, critiquant le choix de la diplomatie européenne de pas préserver le secteur viticole contrairement à d’autres industries. « Il faut un accord sectoriel avec un taux zéro entre les États-Unis et l’Union Européenne » pointe-t-il, appelant à « un soutien et à un appui de l’Union Européenne. Pas uniquement par la parole, mais par des actes concrets. Le paquet vin donne des outils, mais pas des financements. L’Europe reconnaît qu’il y a une crise structurelle, mais demande aux États membres de se débrouiller. Ce n’est pas possible. »
Négociations et interventions
Au sein de la Commission Européenne, on répète la détermination « à garantir le nombre maximal d’exceptions par rapport au plafond tarifaire de 15 %, y compris pour les produits traditionnels de l’Union Européenne, tels que les vins et spiritueux. Nous continuons de travailler avec les États-Unis pour atteindre cet objectif. » On entend également à Bruxelles que « le paquet vin que nous avons présenté au printemps est un ensemble de mesures mises à la disposition des États membres et des viticulteurs afin de les aider à mieux faire face à l’avenir incertain. Les mesures d’intervention existantes pour gérer l’impact de la crise peuvent être activées en cas de besoin ponctuel et à la demande officielle des États membres concernés. »


Pour ce fonctionnaire, « toute mesure d’arrachage devrait faire l’objet d’une évaluation adéquate en ce qui concerne ses incidences sur les territoires où elle est appliquée, ses coûts importants et son efficacité non garantie dans la réduction de l’offre. L’arrachage temporaire, en particulier, est une mesure qui reporte, et non résout, le problème, ce qui accroît les risques pour les viticulteurs qui décident de continuer à investir dans le secteur. Comme indiqué dans les recommandations du groupe de haut niveau, dans le contexte actuel, ce qui est réellement nécessaire est une stratégie nationale/régionale globale pour le secteur vitivinicole et un ensemble de mesures d’intervention cohérentes qui contribuent à la mise en œuvre d’une telle stratégie. »
Plaidant pour la reconquête des parts de marché, Jérôme Despey valide la nécessité d’établir un « plan de responsabilisation des acteurs de la filière, avec de la segmentation, de la contractualisation… Et avancer sur l’expérimentation dans le secteur viticole de la loi Egalim qui permette un tunnel de prix pour ne pas vendre en dessous des coûts de production et avoir une politique de prix décents, a minima rémunérateurs » souligne le premier vice-président de la FNSEA. Qui relève d’autres sujets stratégiques comme les mesures de simplifications administratives et de maintien des moyens de production (notamment phytosanitaire). « Les viticulteurs ne peuvent pas être entravés par des réglementations de plus en plus importantes, parfois distorsives par rapport aux importations européennes et extracommunautaires. On le voit avec les débats sur le cuivre... Il faut de vraies réponses d’un gouvernement » exige le viticulteur languedocien, qui répète les principes de continuité de l’État : les engagements d’un gouvernement engagent le suivant. Après la rencontre mi-juillet de la ministre de l’Agriculture, Annie Genevard, le rendez-vous de début octobre reste attendu par l’Association Générale de la Production Viticole (AGPV)
* : Même si le sujet ne semble pas faire florès à Bruxelles, « je n’abandonne pas le dispositif arrachage temporaire » répète Jérôme Despey, pour qui « on a tous vu les incendies dramatiques [dans l’Aude cet été] et les questionnements sur l’arrachage. C’est un devoir d’accompagner ceux qui veulent rester. Je me bats aussi pour la préservation des crédit de l’Organisation Commune de Marché vitivinicole (OCM viticole) pour permettre à ceux qui le veulent d’investir dans leurs exploitation (désalcoolisation, cépages résistants, évolutions culturales…). Le changement climatique nous oblige à avoir un plan de prévention aléas climatiques. » Jérôme Despey maintient également ses demandes d’une préretraitre pour les vignerons.
** : Le fonctionnaire cité indique que « l’alcool distillé à partir de la distillation volontaire peut toujours être utilisé pour les biocarburants. Elle ne peut être considérée comme une double prise en compte par rapport à l’objectif en matière de biocarburants, étant donné que seuls les déchets et les résidus peuvent en bénéficier conformément à la réglementation de l’Union Européenne.