e mardi 16 juillet, le vignoble était reçu par la ministre de l’Agriculture pour présenter son plan de sauvetage, avec de l’arrachage couplé à de la distillation notamment.
Gérard Bancillon : On ne peut que regretter qu’il n’y ait pas eu d’avancées concrètes de la part du ministère. Le point positif, c’est que toute l’Association Générale de la Production Viticole (AGPV) est alignée pour dire que nous vivons une crise sans précédent. Il y a 3 à 4 ans, nous nous sentions seuls à le dire aux vins IGP. Le vignoble va entrer une deuxième vendange de trop en 2025. Déjà l’an dernier un surstock avait été généré malgré une petite récolte. Cette année le rendement s’annonce plus important et va créer de l’excédent et causer un délestage de volumes à des prix ridicules pour générer de la trésorerie. Tous les opérateurs, petits ou grands, qui n’ont pas de contrats larguent leurs vins à des prix ridicules. Dans toutes les régions de France, on entend parler de courtiers demandant des vins IGP à 40 €/hl. Les offres chez Lidl à 1,35 € vont continuer tant qu’il y aura des caves à vider. Il n’y a plus de considération de l’humain, c’est de l’ultra libéralisme. On laisse la loi des marchés gérer la crise.
L’an passé, un plan d’arrachage à 4 000 €/ha doté de 120 millions € était mis en œuvre pour réduire la production dès le millésime 2025. Alors que la filière parlait d’un outil sous-dimensionné, cette enveloppe n’a été consommée que partiellement (110 millions €). Seulement 27 000 hectares de vignes seront arrachés, vous évoquiez un besoin de retirer 100 000 ha l’an passé.
En 2024, il aurait fallu arracher 100 000 ha pour produire 6 millions d’hectolitres de vin de moins cette année. En 2021, nous avons produit en France 37 millions hl de vin, il a fallu distiller en 2022. Nous avons fait 36 millions hl en 2024, il faudrait distiller et arracher pour repartir d’une page blanche. Pour tomber à 30 à 33 millions hl, faudrait arracher 20 à 25 % du vignoble français. Peut-être est-ce nécessaire en rouge. En Languedoc, le vignoble a rentré une petite vendange, 9,6 millions hl en 2024, mais les stocks sont passés de 17 à 19 millions hl : on ne sait plus vendre une très petite récolte sans rajouter des stocks. C’est la réalité de l’analyse, mais il y a ensuite le ressenti des producteurs et envie de s’inscrire à dispositif avec décapitalisation. La campagne d’arrachage l’an dernier a pâti de son manque d'attractivité. Ceux qui avaient les reins plus solides espéraient que les autres arracheraient pour tenir jusqu’à ce que la situation s’améliore. Elle ne s’améliore pas, elle s’aggrave. Les Espagnols et Italiens sont aussi dans une crise noire, on y trouve aussi de la détresse. Je n'ai pas de boule de cristal, mais cette année j’entends que les gens veulent aller à l’arrachage.
2025 semble être l’année de trop pour beaucoup d’entreprises viticoles qui sont au bout du rouleau et doivent réduire la voilure à tout prix.
Certains estimaient qu’en arrachant des vignes on allait laisser la place aux concurrents espagnols. Mais ça y est, à 1,35 € la bouteille de vin français, on a pris la place des vins espagnols… Deux enquêtes vont être nécessaire pour mesurer les besoins en arrachage et distillation. Il faudrait sans doute des budgets énormes pour répondre aux besoins, on ne les aura pas je le crains. Lors du rendez-vous avec la ministre, elle a fait preuve de compassion en disant que la viticulture est la filière agricole la plus en crise. Mais la compassion ne suffira pas : que va-t-on faire pour traiter la crise ? Qu’est-ce que l’on met comme fonds en face ? L’Etat nous dit que l’on pourrait récupérer des fonds de crise européen. Sur 450 millions € ouverts à toutes les filières et tous les pays, combien pourrait-on flécher vers le vignoble français ? Même avec 100 millions € on sera très loin du compte. Et rattacher des crédits nationaux parait difficile. Pour rappel, quand la coopération a demandé 75 millions € pour sa restructuration sur 3 ans, elle est arrivée sur 10 millions €. Des discussions au sein de l’AGPV concernent l’utilisation des fonds européens du Plan stratégique National (PSN) de la France pour la Politique Agricole Commune (PAC), mais il n’y pas d’alignement. Dans tous les cas, cela dépendra des besoins exprimés. S’il y a une grosse demande, il faudra être inventif.
Si des mesures de crise coûtent, d’autres se font sans fonds publics pour rétablir la filière et ses rémunérations : loi Egalim, prix recommandés sur les vins AOP et IGP avec l’article 172 ter, orientation de prix sur les vins bio et HVE avec 210 bis..
Sur l’article 210 bis, l’obtention du contrat de durabilité par Pays d’Oc est à saluer : les lignes ont bougé au niveau européen. On verra comment les opérateurs se comporteront avec, mais cela permettra de dire qui a le sens des responsabilités. Beaucoup de choses sont à travailler. Mais tant que le vignoble ne repart pas d’une page blanche, avec des surfaces et des stocks apurés, le marché va continuer à faire sa loi. C’est seulement si l’on est capable d’arracher ce qu’il faut que l’on pourra amener les gens à discuter. Tant qu’il n’y a aucune contrainte, on va tout brader dans l’affolement général. Il faut couper cette dynamique pourrie. On est sur un bateau où tout prend l’eau, c’est le Titanic.