es monticules de souches à perte de vue. Entassées sur le sol, elles attendent l’automne et des températures plus clémentes pour être brûlées. Elles disparaîtront alors à jamais comme pour effacer un souvenir douloureux.
Il y a deux ans encore, Jean-Philippe Mari cultivait 36 ha de vignes à Salses-le-Château, dans les Pyrénées-Orientales. Depuis, il a décidé de prendre un nouveau départ et d’en arracher quasiment la moitié. « En 2024, j’avais déjà dû arracher 8 ha à cause de la sécheresse, regrette-t-il. Alors, cette année, comme il y avait la prime, j’en ai profité pour arracher 8 ha supplémentaires. Viognier, muscat, syrah, cabernet-sauvignon, j’ai supprimé les cépages qui souffrent le plus de la sécheresse pour ne conserver que les plus productifs. Le matériel est payé, nous n’avons pas de personnel, il fallait juste se lancer. Dans deux ans, je serai à la retraite, mais ma fille Lorie, qui s’est installée en 2018, doit pouvoir repartir sur un autre projet. »
Ce projet, ce sont les oliviers. « On en a déjà 4 ha et, aujourd’hui, on gagne davantage d’argent avec l’huile d’olive qu’avec le vin. » Jean-Philippe Mari projette d’en planter 15 ha de plus et 1 ha d’amandiers d’ici deux ans sur des îlots de 5 ou 6 ha irrigables. « Sur les 4 ha d’oliviers que nous cultivons, seul 1 ha est irrigué. Même si les oliviers souffrent moins de la sécheresse que la vigne, les rendements sont meilleurs avec l’irrigation », constate-t-il.
À quelques kilomètres de là, à Tautavel, Pierre Pelou, vigneron certifié AB, vient d’arracher 4 ha sur les 26 qui composent son domaine. Objectif, se réorganiser pour rebondir. « On a profité du programme d’arrachage pour se débarrasser des vignes avec lesquelles on peinait à atteindre entre 50 et 60 % du rendement moyen de l’exploitation, explique-t-il. Les syrahs plantées sur des schistes ont énormément souffert de la sécheresse ces dernières années. Cultiver sans récolter était devenu une hérésie. Sans compter les difficultés pour trouver des saisonniers. Réduire notre surface va nous permettre de porter plus d’attention aux parcelles les plus productives. »
Les 4 ha fraîchement arrachés resteront pour le moment en jachère avec un couvert végétal pour décompacter les sols. Pierre Pelou hésite encore à se lancer dans l’arboriculture ou à replanter de la vigne, grâce à des droits de plantation qu’il a en portefeuille, avec un projet d’agroforesterie pour apporter de l’ombre aux vignes afin qu’elles résistent mieux à la sécheresse.
À Saillans, en Gironde, Jérémy Brun n’exploite que 2 ha, mais il arrache, lui aussi, pour réduire ses coûts. « On s’est débarrassé de vieilles parcelles plantées il y a plus de 40 ans, enclavées, compliquées à travailler et où le taux de manquants frôlait les 20 %. Il nous fallait une journée et demie pour traiter 2 ha avec notre pulvérisateur équipé de panneaux récupérateurs. En arrachant 50 ares début avril, on peut faire ce travail en une journée. Les années où il pleut quotidiennement, on va gagner un temps précieux. Idem au chai. Pour vinifier 2 ha, il nous fallait deux cuves en béton de 50 hl. À la prochaine vendange, une seule cuve de 80 hl suffira », détaille le vigneron.
Mais pas question pour Jérémy Brun de laisser ses 50 ares en friche. Passionné de bois, il a pour projet de planter des chênes truffiers. « La seule contrainte, c’est le pH trop acide du sol qu’il va falloir rehausser. Sur les conseils d’un trufficulteur du Périgord, on va apporter 1 tonne de calcaire cet automne que l’on va enfouir sur 20 cm d’épaisseur. »
À Monze, dans l’Aude, Jacques Serre vient d’arracher 21 ha sur les 55 qu’il cultive habituellement. « On ne conserve que les parcelles de rouge les plus productives, les plus jeunes et les plus accessibles, expose-t-il. Cela devrait nous permettre de faire face à la crise actuelle car on n’aura plus besoin d’embaucher de saisonniers et, surtout, on va arrêter de cultiver des parcelles peu rentables. Le matériel est amorti, donc on le garde. On a tout arraché en février lorsque les sols étaient encore meubles. Sur certaines parcelles, les souches attendent encore d’être brûlés, mais le principal est fait. »
Ces terres resteront en friche en attendant des jours meilleurs. « Aujourd’hui, elles sont invendables, regrette Jacques Serre. Personne ne veut investir dans une région en perte de vitesse, alors qu’avec des cépages adaptés et la production de vin à petits degrés, l’Aude est encore un territoire viticole d’avenir. 4 000 €/ha de prime, c’est bien pour couvrir les frais d’arrachage. Mais après, comment finance-t-on l’entretient des terres ? Nous sommes dans une région propice aux incendies. Toutes ces friches augmentent le risque de feu, alors que les vignes ne sont plus là pour faire barrage. »
Selon les dernières données de FranceAgriMer arrêtées au 7 mai dernier, 27 474 ha étaient voués à l’arrachage sur l’ensemble du territoire dans le cadre du programme 2024-2025. Les trois régions où l’on arrache le plus sont, en tête, le Languedoc-Roussillon avec 12 539 ha, soit 45 % des intentions d’arrachage, suivi de l’Aquitaine, avec 5 532 ha (20 %) et la vallée du Rhône-Provence avec 4 644 (17 %). À l’inverse, c’est en Charente et en Corse que l’on arrache le moins, tandis qu’en Champagne et en Alsace, aucune déclaration n’a été enregistrée pour le moment. Ces chiffres sont susceptibles d’évoluer jusqu’à fin juillet, date de clôture du programme national 2024-2025.