es demandes d’arrachage primé et de distillation de crise reviennent ce printemps face aux difficultés économiques du vignoble, Bordeaux ayant crevé l’abcès en affirmant son besoin de régulation des surfaces et des stocks. Est-ce une demande encore isolée ?
Jérôme Despey : Je n’entends pas cette demande qu’à Bordeaux. Je suis de plus en plus alerté dans de nombreux bassins sur la situation économique tendue que vivent les vignerons, sur une consommation atone, sur des retiraisons plus tardives, sur des prix de marché qui ne sont absolument pas à la hauteur des coûts de production. Peut-être que Bordeaux le demande plus fort qu’ailleurs, mais ce besoin de distillation et d’arrachage est sous-jacent dans de nombreux bassins : Sud-Ouest, Occitanie, une partie de la Vallée du Rhône, mais aussi dans la région Centre Val de Loire et en Alsace. Il y a aussi de l’inquiétude à Cognac sur le devenir de la prochaine récolte. En Champagne, le mécanisme de régulation n’empêche pas les préoccupations. On sent qu’il faut une vision conjoncturelle et une stratégie structurelle pour l’avenir de la filière viticole.
Ces ralentissements commerciaux se font sur l’une des plus petites récoltes françaises (37 millions d’hectolitres). Si l’on revient à une récolte plus normale en 2025, on s’oriente sur une période d’après vendanges particulièrement difficile sur le plan social et économique. Nous avons l’obligation de trouver des solutions. J’ai déjà remonté plusieurs alertes à la ministre de l’Agriculture, Annie Genevard. La filière est en train de travailler alors que les propositions du Groupe à Haut-Niveau (GHN) reprises dans le paquet vin de la Commission européenne vont dans le bon sens : autorisations de replantation jusqu’à 13 ans, possible limitation des autorisation de plantations nouvelles à 0 %… Et des outils de crise comme l’arrachage et la distillation encadrés par des règles communautaires, dont on ne s’affranchira pas.
Comment financer de potentielles campagnes d’arrachage et/ou de distillation alors que les fonds publics s’annoncent difficiles à mobiliser ? Une régionalisation des aides européennes de l’Organisation Commune de Marché vitivinicoles (OCM vin) est-elle envisagée pour permettre un financement local de ces outils ?
À ma connaissance, la volonté actuelle de la filière est de préserver les fonds OCM pour des éléments structurants d’avenir et de conquête de marchés, en lien avec le plan de filière (Cap Vin). Aujourd’hui, le paquet vin [tel qu’il est proposé par la Commission] ne permet pas de prendre des fonds de l’OCM vin pour financer l’arrachage ou la distillation. Seuls les crédits nationaux peuvent être mobilisés, en étant plafonnés à 30 % de l’enveloppe OCM vin annuelle de l’État membre. Avec les 270 millions €/an de l’OCM vin en France, cela représenterait 80 millions €. Ce qui est bien en deçà des 400 millions € pour les distillations (de 2020 et 2023-2024) et l’arrachage définitif (110 millions €). Nous demandons la suppression de cette limite de 30 %. Le paquet vin étant dans un moment de négociations avec le Parlement européen où, au-delà-des outils, les moyens financiers sont évoqués, et les fonds européens de réserves de crise de 450 millions € pourraient être mobilisés en amorce d’un cofinancement de l’État. Il faut obtenir des fonds de crise pour financer la mise en œuvre des outil qui ont été demandés dans le cadre du GHN et qui sont en débat dans le paquet vin.
Ma demande est que la ministre de l’Agriculture se batte pour obtenir des crédits de l’Union Européen pour que la filière puisse se mettre autour de la table et orienter les fonds sur des outils de régulation. La filière souhaite rencontrer Annie Genevard d’ici juillet pour voir ce qui peut être obtenu auprès de la Commission européenne et de l’État français. Nous devons obtenir des moyens pour pouvoir déployer les outils cet automne. Le temps presse, la situation est telle qu’elle ne peut plus durer. L’attente est importante pour conclure rapidement le paquet vin.
Vous avez participé au groupe de contact vitivinicole entre l’Espagne, la France et l’Italie ce 11 juin : cette approche de l’arrachage et de la distillation était-elle partagée ?
Ce groupe de contact préparait le comité mixte qui sera convoqué par le gouvernement italien au mois de novembre. Nous avons partagé les situations des marchés. L’Espagne nous a fait part d’une situation particulièrement difficile, la poussant à solliciter les outils du paquet vin et le déblocage de fonds de crise européens. L’Italie a partagé un ralentissement de ses marchés à l’export et souhaite poursuivre les échanges. Nous demandons tous le maintien et la revalorisation de l’OCM vin dans la prochaine Politique Agricole Commune (PAC).