On a certainement très mal communiqué, c’est notre fait » convient Benoît Clerc, le directeur des achats d’Aldi France. Face aux coups de gueule venus du Rhône comme de Bordeaux, où des actions syndicales ont ciblé des magasins ce 18 juin, il semble que soit regrettée la déclaration sur Vitisphere de Roger Anthony, l’acheteur bières, vins et spiritueux d'Aldi France (1 300 magasins), défendant l’offre promotionnelle 4+2 à venir en foire aux vins d’automne (FAV, dès le 23 septembre) en estimant qu’« un produit à 1,99 €, un bordeaux ou un côtes-du-rhône, pour moi c’est encore rémunérateur, on respecte le viticulteur » et en s’engageant à ne pas descendre en deçà (un plancher sous lequel d’autres enseignes ont creusé). Revenant sur ce sujet, Benoît Clerc explique que l’offre de 51 références de la FAV affiche un prix de vente moyen de 4 € qui est « honorable » pour une sélection 100 % française.
S’il n’est plus question de prix rémunérateur pour le producteur à 1,99 €, « c’est la totalité de l’offre qui de notre point de vue permet de trouver un équilibre » indique le directeur des achats, pointant que « quand on regarde les prix les plus bas, c’est lié malheureusement à une surproduction par rapport à la consommation. Tant qu’il n’y aura pas cet équilibre, il y aura forcément des gens qui n’y arriveront pas, c’est une évidence absolue. Nous ne sommes qu’une toute petite partie de l’équation » avec 3 % des parts de marché de la vente de vin dans les rayons français de la Grande Distribution (GD). Et l’offre d’Aldi en FAV ne « se résume heureusement pas à l’entrée de gamme, qui est à peu près identique aux autres enseignes sur cette partie ».


« Il y a des négociants qui proposent à la GD en général, pas seulement Aldi, des prix pour faire du 1,99 € en rayon. Ces offres-là, toutes les enseignes les ont, voire moins » pointe Frédéric Galibert, le président de Grand Terroir (négoce sis à Béziers), qui travaille avec Aldi depuis 2012 sur des approvisionnements en vins du Languedoc-Roussillon et de la vallée de la Rhône. N’approvisionnant pas l’offre 4+2 à 1,99 € d’Aldi cet automne, le négociant pointe qu’à ces prix « le vigneron ne peut pas vivre, mais malheureusement c’est la loi l’offre et de la demande. Ces offres arrivent aujourd’hui à toutes les enseignes, ce n’est pas propre à Aldi que je sache. » Pour Frédéric Galibert, « l’origine de ces prix [tient à] l’offre qui est bien supérieure à la demande depuis l’après-covid. Il y a un déséquilibre très important sur les côtes-du-Rhône et les bordeaux, qui sont les plus touchés parce qu’ils sont très marqués rouges. Aujourd’hui, il y a forcément des vignerons en détresse qui ont besoin de vendre parce qu’ils vendangent dans trois mois. »
Le constat est partagé par Benoît Clerc : « malheureusement, il y a plein de caves et de négociants qui ont leurs caves pleines et s’ils n’arrivent pas à vendre d’ici les prochaines vendanges, ils auront des difficultés majeures (ils en ont déjà). Ce n’est pas une question de prix au départ : c’est la surproduction qui mène aux prix et pas l’inverse. C’est dans cet ordre-là que les choses se font. » Le directeur des achats précise que les achats en FAV reposent sur des relations commerciales de long terme et pas sur « des achats spot de gens que l’on ne connaît pas (afin de s’assurer que la qualité en bout de ligne corresponde aux échantillons) ». Une approche possible car « les surplus sont tellement importants aujourd’hui sur les filières que l’on n’est pas sur des achats spots. Toutes les semaines ou presque, si on le souhaitait, on pourrait acheter des lots de vin qui ont du mal à s’écouler à prix très bas » rapporte Benoît Clerc.
Partenaire particulier
« Si l’on veut avoir des partenariats de long terme, il faut que chacun des partenaires y trouve son profit. Sinon on n’y arrive pas. Si vous assassinez en termes de prix une entreprise, l’année d’après elle trouve d’autres clients parce qu’elle n’a pas fait de bénéfices avec vous » déclare Benoît Clerc, qui résume : « si l’on veut travailler à long terme avec un partenaire, il faut être capable de le rémunérer pour qu’il puisse vivre et bien vivre ». En la matière, des vignerons estiment qu’une augmentation de quelques dizaines de centimes du prix d’achat par la GD n’aurait pas d’effet significatif sur les prix de vente. Une vision douchée par Benoît Clerc.
« Nous vivons dans un environnement concurrentiel. Passer à 2,5 € c’est être plus cher que tous les concurrents. Les clients se détourneront de nous. On ne fait pas une course au prix le plus bas, on fait des prix relatifs qui essaient d’être justes pour tout le monde » indique le directeur des achats, qui rapporte qu’Aldi a expérimenté que le passage d’un seuil psychologique pour le prix d’un vin (en le passant à plus de 2, 3 ou 4 €) freine l’achat : « penser que 25cts à droite, quelques pourcents à gauche, ça n’aura pas d’impact sur la consommation » est faux pour Benoît Clerc, qui rapporte « un impact très fort. On ne peut pas s’exonérer de prix qui vont satisfaire à la fois l’amont et l’aval, sinon il y aura des déséquilibres et ça ne fonctionne pas. Pour les entrées de gamme, trouver le juste prix qui rémunère tout le monde dans ce contexte de crise, c’est un exercice extrêmement difficile. »


« Si vous positionnez la bouteille à 2,5 €, d’autres enseignes la mettront à 1,69 ou 1,89 €. Franchement ils sont dans un univers concurrentiel : ce n'est pas Aldi qui dicte le marché que je sache » juge Frédéric Galibert. « Que les offres ne soient pas en accord avec ce qu’attendent les vignerons, je l’entends. Je le comprends tout à fait, mais tant que l’on n’aura pas équilibré l’offre et la demande, on aura des prix comme ça » estime le négociant, pour qui les campagnes de distillation et d’arrachage sont des « mesurettes prises au niveau du gouvernement, de la filière et des vignerons. Et aujourd’hui il n’y a aucun effet sur les prix. Les gens sont en colère et je le comprends : moi-même je suis vigneron, je connais les coûts production. Vous avez malheureusement un marché déséquilibré. On peut faire ce que l'on veut, on peut taper du pied, mais ce n'est pas pour autant que les gens boiront plus. »
Confiant malgré les temps actuellement difficiles, le négociant estime que la spirale de baisse des prix va s’arrêter, « une fois que le marché sera équilibré. Ça ne peut pas continuer comme ça : les gens perdent de l’argent sur les exploitations, l’âge des vignerons est avancé, il n’y a pas d’installation. On arrive à un goulot d’étranglement dans la profession. Il y aura peut-être un tiers des vignerons qui vont malheureusement disparaître. » À ce scénario catastrophe, Benoît Clerc préfère voir la contribution d’Aldi à la relance de la consommation de vins. « Tout l’objectif de notre foire aux vins c’est de valoriser les filières » maintient le directeur des achats, pour qui « c’est en tirant ce genre d’offre [à 1,99 €] sur notre foire aux vins que nous essayons de relancer la consommation de vin. L’objectif n’est pas de tirer vers le bas le prix moyen des bouteilles, mais de tirer vers le haut la consommation. C’est pour ça que nos offres à 1,99 sont volumiques, le client achète un carton de 6 bouteilles. » Benoît Clerc partageant qu’Aldi a des difficultés à vendre des vin au-delà de 7,99 € la bouteille à sa clientèle.