ais pourquoi la vigne, dont les fleurs ne sont pas attractives pour les insectes pollinisateurs, doit-elle se conformer à une interdiction de traitement phyto en journée lors de sa floraison pour protéger les abeilles ? Ce jeudi 5 juin, la Direction générale de l'alimentation (DGAL) blackboule cette situation kafkaïenne et annonce un aménagement de l’utilisation des phytos sur les vignes en fleur dans une Foire Aux Questions (FAQ). Une évolution d'autant plus bienvenue que le sujet fâche les vignerons (réduisant la réactivité, tout en augmentant les risques de pertes de rendement et en imposant un travail de nuit) et leurs riverains (les traitements nocturnes étant source de multiples conflits). La tension ne redescendant pas depuis que le Conseil d’État a jugé le 26 avril 2024 que la viticulture devait être soumise aux fortes contraintes horaires imposées par l’arrêté pollinisateur du 21 novembre 2021.
Soit un traitement possible des vignes 2 heures avant le coucher du soleil à 3 heures après. Cette contrainte a des conséquences disproportionnées sur les exploitations rapporte la Confédération Nationale des producteurs de vins et eaux de vie de vin à Appellations d'Origine Contrôlées (CNAOC) : en appliquant ce laps de temps de 5 heures de traitement possible sur un vignoble de 10 hectares, il faut trois journées pour réaliser les 12 heures nécessaires en moyenne au traitement des parcelles. De quoi laisser déraper la pression phyto dès le début de saison, quand bien même les conditions météorologiques resteraient favorables à la protection phyto sur trois jours… Ce qui n'est pas gagné avec une pluviométrie exacerbée.
Actualisant sa FAQ sur l’arrêté du 20 novembre 2021 relatif à la protection des abeilles et autres pollinisateurs vis-à-vis des produits phytopharmaceutiques, la DGAL ouvre l’adaptation des horaires sur les vignes en fleur si « un traitement fongicide doit être mis en œuvre rapidement compte tenu de l’urgence liée au développement d’une maladie, qui ne permet pas de différer le traitement ou de restreindre sa mise en œuvre à la plage horaire des 5 heures de fin de journée ». Ce qui s’applique donc au mildiou, au black-rot et à l'oïdium. Sachant que l'administration veut appuyer plus spécifiquement son soutien à la lutte contre Plasmopara viticola. La FAQ précise ainsi que « le mildiou de la vigne est une maladie fongique qui se développe extrêmement rapidement lorsque les conditions de chaleur et d’humidité sont réunies. Le traitement des vignes en urgence peut alors s’avérer nécessaire pour limiter la progression de la maladie, sans pouvoir reporter l’intervention dans la plage horaire des 5 heures de fin de journée. Ainsi, lorsque les conditions météorologiques l’imposent, le traitement du mildiou de la vigne en floraison […] peut être réalisé sans contrainte horaire. »
Pour ces dérogations, conformes à l’article 5 du décret*, l’administration précise que « le motif (traitement urgent contre le mildiou) doit être consigné dans le registre phytopharmaceutique, de même que l’heure de début et l’heure de fin du traitement », mais qu’il n’y a obligation « ni de notification ni d’autorisation préalable ». Le recours à cette dérogation repose donc sur l’initiative des vignerons, avec la tenue d’un registre (consultable en cas de contrôle).


Acte administratif officiel, cette FAQ permet un aménagement durable et stabilisée des traitements phytos pendant la floraison, dès 2025 pour les vignobles encore en fleur (essentiellement l’Alsace à date) et à partir de 2026 pour tous les autres vignobles français qui ont dû encore faire avec « cette impasse » cette année : « depuis avril 2024, le constat est simple, la décision pollinisateur encadrant les traitements en période de floraison s’impose à tous nos collègues vignerons dans la période où le végétal est le plus sensible ! » pointe Anthony Brun, le président de la commission durabilité de la CNAOC et de l’Union Générale des Viticulteurs pour l'AOC Cognac (UGVC). Relevant le long travail mené avec l’administration par les organisations de la filière vin (CNAOC, FNSEA et Institut Français de la Vigne et du Vin, IFV), le viticulteur charentais salue l’arrivée à « une situation équilibrée entre la préservation de la biodiversité, le respect de la décision du Conseil d’État et les contraintes du terrain ».
« Concrètement, en cas de forte pression sanitaire mildiou, oïdium ou black rot, un vigneron pourra déroger au -2h/+3h » résume Anthony Brun, précisant que « pour ce qui est de la flavescence dorée, c’est un petit peu plus compliqué : nous avons bien obtenu la dérogation dans les textes, mais il faudra attendre la sortir du nouvel arrêté national flavescence dorée pour que cette dérogation soit effective. »
Gain syndical conséquent, cette dérogation doit répondre à la franche exaspération, pour ne pas dire la bouillonnante colère, des viticulteurs désemparés par ces contraintes horaires qui perturbent depuis un an les travaux printaniers. Demandant un intense travail en coulisse, cette nouvelle FAQ s’est justement basée sur les retours d’impasses sur le terrain. « On a mouillé chemise en multipliant les interpellations » rapporte Raphaël Fattier, le directeur de la CNAOC, notant qu’une modification de FAQ peut sembler modeste, mais qu’il n’y avait pas d’autres leviers : « il n’était pas possible de supprimer l’arrêté (par principe de non-régression du droit), le modifier aurait pu être risqué (c’est ouvrir la boîte de Pandore) et la décision du conseil d’État ne peut être attaquée (étant le jugement de la plus haute autorité administrative). La FAQ vient préciser l’arrêté, c’est du droit. » Et désormais c’est un aménagement de la fenêtre d’application de produits phytopharmaceutique sur la vigne en période de floraison.
* : Si « compte tenu du développement d'une maladie, l'efficacité d'un traitement fongicide est conditionnée par sa réalisation dans un délai contraint incompatible avec la période prévue », l’arrêté indique que « l'application peut être réalisée sans contrainte horaire ».