n haut d’une vaste colline entourée d’un océan de vignes dont beaucoup sont à l’abandon, domine un bâtiment blanc. Nous sommes à Murfatlar dans la région de Dobrogea, tout à l’est de Roumanie. Cette région compte un peu moins de 20 000 hectares de vignes répartis sur quatre appellations dont la plus vaste est la DOP Murfatlar, du nom de ce village à une vingtaine de kilomètres des rives de la mer Noire.
Sous le communisme, la cave que l’on aperçoit en haut de la colline exploitait 2 500 hectares et s’appelait Murfatlar, elle aussi. En 1989, elle fut privatisée. Elle est restée l’un des plus gros producteurs de Roumanie jusqu’à ce qu’elle soit accusée de fraude fiscale, « une histoire balkanique », sourit Cosmin Popescu, directeur général depuis 2011.
Le scandale éclate en 2015. Pendant plusieurs années, l’entreprise s’arrête. Ses vins disparaissent des supermarchés. Les viticulteurs qui lui vendaient leurs raisins, ne sont plus payés. Elle finit par repartir en 2021 avec l’aide de nouveaux investisseurs, sous le nom de Murfatlar Vinul et avec beaucoup moins de vignes. En cette année 2025, seuls 900 ha sont encore en production. Le reste, arraché ou en friche, attend d’être replanté. « Notre but est de redevenir le plus grand producteur de vin des Balkans », lance Cosmin Popescu qui vise de produire 15 millions de bouteilles en 2030.
Ce scandale a redistribué les cartes. Cramele Recas, à l’ouest du pays, a pris la place de plus gros producteur en Roumanie tandis qu’une vingtaine de caves ont pris leur essor dans la région de Dobrogea. Le modèle est souvent le même : des fonds européens, un conseiller de renom, du matériel dernier cri et des plantations conséquentes.
En remontant le cours du Danube jusqu’à Aliman, un petit village roumain avec ses charrettes à cheval, on découvre Alira, l’une de ces exploitations qui a profité de la chute de Murfatlar. L’homme d’affaire allemand Karl Hauptmann l’a fondée en 2011 alors qu’il avait déjà un domaine en Bulgarie. « Si j’avais dû investir en Roumanie, j’aurais choisi Dealu Mare, une région viticole plus connue », s’amuse son conseiller, le Bordelais Marc Dworkin. Mais Karl Hauptmann y a vu un terroir apte à produire des merlots puissants et charpentés. Avec le réchauffement climatique, la syrah, le grenache et le cabernet-sauvignon s’avèrent plus adaptés. « Ces cépages arrivent à maturité phénolique plus rapidement, avec moins de sucres », assure Marc Dworkin.
Pas loin d’Alira, les Ghiuri, distributeurs de vins et spiritueux depuis 1994, ont établi Rasova en 2015 en investissant 10 millions d’euros rien que pour la cave. Ils ont choisi un emplacement qui offre une vue imprenable sur le Danube et le pont Anghel-Saligny, célèbre dans le pays, construit entre 1890 et 1895. Les couchers de soleil que l’on peut admirer depuis la terrasse de leur restaurant sont remarquables. Le lieu est idéal pour attirer les clients « plus difficiles à amener à la cave que les raisins », avoue Zoé Ghiuri avec une pointe d’humour.
Elle qui pensait être « une actionnaire silencieuse » se retrouve à gérer tout le domaine, restaurant compris. Après le départ de son sommelier, elle s’est formée au vocabulaire de la dégustation pour accueillir les visiteurs, essentiellement roumains. Dans le chai, le matériel dernier cri réjouit Razvan Macici, le conseiller de l’exploitation pour qui Rasova est le projet le plus excitant auquel il participe. Il a tout pour faire des vins souples et fruités, dans la veine de ceux qu’il produit depuis longtemps en Afrique du Sud où il est conseiller.
Au nord de la région, en direction de Tulcea, s’étendent plusieurs centaines d’hectares de vignes dans un paysage lunaire de loess. « La voiture va être couverte de poussière », prévient Paul Fulea, le chef de culture de Vintruvian Estates, un groupement de quatre domaines dont Caii de la Letea, qui nous y emmène. Dans cette contrée sèche, l’irrigation est indispensable, greffée sur d’énormes canalisations datant de l’époque communiste et qui vont être modernisées. Ces conditions plaisent au chardonnay, au sauvignon blanc, au viognier et à la feteasca regala, un cépage blanc très commun en Roumanie.
Bien plus surprenant : l’aligoté est devenu le fer de lance de ce domaine. « Nous avons deux parcelles, une 46 ha l’autre de 60 ha. Ce sont les deux grandes au monde de ce cépage », affirme Paul Fulea qui compte bien planter encore 20 ha l’année prochaine. Ces aligotés donnent des vins secs et élégants qui se marient parfaitement aux poissons et fruits de mer de la mer Noire et qui permettent à Caii de la Letea, exploitation de 156 ha, de se distinguer de ses concurrents.
Autre cépage qui donne des résultats étonnants : le merlot. Pour preuve, ce Nikolaos 2022 « qui arrachait au début » et qui s’est assoupli au cours de son élevage en fût roumain. « C’est mon vin le plus cher », explique Paul qui ajoute « avant, Dobrogea était synonyme de Murflatlar. Aujourd’hui, Dobrogea, c’est Alira, Rasova, Caii de la Letea, La Sapata, Crama Histria et tant d’autres ! »
Les rosés sont en vogue en Roumanie. Ils représentent désormais 20 % de la consommation locale. A base de cépages autochtones et internationaux ce sont des vins de couleur claire obtenus après une courte macération ou un pressurage direct. « Aujourd’hui les consommateurs roumains préfèrent les rosés légers, avec des notes fruitées et une acidité élevée aux clairets », explique le journaliste roumain Valentin Ceafalu. Le producteur de vin Paul Fulea confirme : « Le rosé est la couleur qui s’est le plus développé l’an passé au détriment des rouges. Il est surtout consommé en bord de mer, dans les complexes touristiques et les restaurants. »